Expérience de l'association "Les invités du festin"

Marie-Noëlle Besançon

 

 

 

Introduction du Dr Marie-Noëlle Besançon par le Dr Moreno Boriani

 

 

 

Médecin psychiatre, elle a un exercice libéral durant 20 ans (1987-2004) Besançon

 

  • Médecin adjoint à l’hôpital de jour de la Velotte, expérience pilote fondée par le Dr Paul-Claude Racamier à Besançon sur des principes psychanalytiques (1993-1998)

  • Fondatrice et Présidente depuis 1990 de l’association Les Invités au Festin

  • Elle a créé :

    • la Maison des Sources à Besançon (2000), comprenant un accueil de jour et une maison-relais ainsi qu’un groupe d’entraide mutuelle

    • la maison-relais à Pouillet-les-Vignes (2009)

    • un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés de 35 places

    • un réseau de développement international (IAF) en 2007 avec 17 projets en cours

  • Elle a vécu sur place avec son mari et les résidents d’avril 1999 à septembre 2009. Ils assurent toujours le vivre avec un week-end sur deux

  • Les IAF sont également à l’origine du Mouvement International Citoyenneté Santé Mentale fondé au Québec en 2012, du Conseil Citoyen Local et de l’Association Régionale de Psychiatrie Citoyenne

  • Ses publications :

    • 3 ouvrages sur la psychiatrie citoyenne : « On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux » en 2006 ;: « Arrêtons de marcher sur la tête, pour une psychiatrie citoyenne ! », en 2009, et « Les soins en psychiatrie, une affaire citoyenne » 2011; les 3 aux Editions de l’Atelier (Paris), et les 2 derniers avec Bernard Jolivet, psychiatre et psychanalyste .

    • plusieurs articles dans différentes revues et magazines

    • nombreuses conférences

  • Productrice d’émissions mensuelles de radio sur la citoyenneté et la santé mentale.

 


 

Intervention du Dr Marie-Noëlle Besançon

 

 

 

Merci beaucoup à vous de m’avoir invitée, Etienne [Oldenhove], à ce congrès sur les communautés thérapeutiques bien que je pense que nous ne faisions pas vraiment partie des communautés thérapeutiques. D’après ce que vous venez d’entendre [dans l’introduction de Moreno Boriani], je pense que vous avez pu vous rendre compte qu’on n’est pas tout à fait dans les clous des communautés thérapeutiques, surtout ce qu’à dit hier Francis Maqueda, puisque les thérapeutes ne vivent pas sur place. Mais bon, je ne suis pas la thérapeute dans ce lieu donc je vous remercie vraiment de m’avoir donné l’occasion de venir parler de ce qu’on fait à Besançon.

 

En fait c’est un lieu de vie, un lieu de vie et d’accueil. C’est une expérience de vie innovante et active, d’alternative psychiatrique et citoyenne. C’est basé vraiment sur un engagement citoyen, à la fois des gens qui travaillent, qui vivent dans la maison, et de ceux qui viennent aussi de l’extérieur, c’est-à-dire des bénévoles. On a beaucoup de citoyens bénévoles qui œuvrent avec nous dans le lieu. Voilà, je crois que c’est une des originalités de notre travail.

 


 

C’est vrai qu’en découvrant la condition des malades mentaux, comme on les appelait dans les hôpitaux psychiatriques quand j’étais jeune interne, c’est-à-dire il y a déjà un certain temps, à Besançon, j’ai été effarée de voir comment ça se passait dans les asiles. Les gens enfermés derrière des murs, isolés, avec aucune stimulation, aucune relation quasiment. C’est ce que j’ai vécu en tant qu’interne. Les médecins chefs...

 

J’étais dans un pavillon de défectologie,j’ai atterri vraiment en enfer alors que je venais là avec des idées, des valeurs. Vraiment, si je voulais être psychiatre c’est parce que j’y croyais, c’est que j’étais croyante et que je pensais – vous allez hurler – que « l’amour pouvait guérir ».Donc j’arrive dans un lieu où je me dis « Ah !…et bien j’ai tout faut. Ce n’est vraiment pas ça ». Mais j’y suis restée bien que je me sentais un peu comme, vous savez, dans la Flûte Enchantée de Mozart. On voit à un moment donné le héros qui marche sur un fil au-dessus de l’enfer. Et j’ai vraiment…la nuit je rêvais, j’avais l’impression d’être ce Papageno, je crois, qui marchait et qui était attiré par les gens en enfer et qui voulaient absolument…qui étaient désespérés et qui voulaient à tout prix en sortir.

 

Mais j’ai vraiment aimé les gens qui étaient là et j’ai décidé de rester parce que je sentais que je pouvais faire quelque chose et qu’il fallait surtout, avant tout, les sortir de là. C’était l’époque que vous connaissez tous, des structures intermédiaires, des alternatives, des lieux de vie, de l’antipsychiatrie, de tout ce dont on a parlé hier. Et de Basaglia, surtout, qui était en train de fermer les hôpitaux en Italie. C’était le précurseur de la psychiatrie citoyenne. Lui qui était un grand psychiatre disait : « La folie, je ne sais pas ce que c’est. Je ne sais pas ce que c’est, la folie, mais en tout cas c’est de l’humain. Ca fait partie de la vie et il faut redonner de la folie à la société. Il faut la remettre dans la société ».

 

Et il y a Bonnafé aussi qui disait : «  Il faut rendre la folie à la société et développer le potentiel soignant du peuple. ». Et c’est vraiment ça qui m’a intéressée, qui m’a branchée.

 

Ce sont les lieux de vie aussi, où c’étaient des petites structures alternatives, où on vivait avec les personnes. C’étaient plutôt des éducateurs qui s’occupaient des lieux de vie et qui vivaient avec des gens qu’on leur confiait. Et là ils voyaient apparaître des potentialités, des possibles. C’était vraiment une humanisation qu’on ne trouve plus, qu’on ne trouvait pas à l’hôpital. D’ailleurs l’hôpital cherchait vraiment à se réformer. Voire même à disparaître puisque c’était la politique de secteur dans les années qu’a été fondé, comme vous le savez, en 1960, mais il n’y a pas eu de loi – la loi n’est intervenue qu’en 1986. Et donc dès qu’il y a eu cette possibilité d’ouvrir, de créer des structures alternatives – les hôpitaux de jour, les CMP, tout ce qu’on connaît maintenant – les psychiatres chefs de service qui voulaient le faire, l’ont fait. Après ça a été beaucoup plus difficile, l’hôpital s’est refermé et il est revenu au centre du dispositif, et je pense que beaucoup d’espoirs se sont envolés pour beaucoup de psychiatres et beaucoup de patients. C’est beaucoup plus difficile maintenant de faire des lieux alternatifs. Tout ce qu’on a dit hier l’empêche, ce n’est pas soutenu, alors que ça coûterait certainement moins cher et que ça serait plus efficace.

 


 

Donc j’ai eu la chance, comme ça a été dit, aussi de travailler avec le Dr Racamier, que beaucoup connaissent et qui m’a beaucoup inspirée, on va dire qui m’a beaucoup appris de choses sur la façon d’être, la manière d’être, avec les personnes psychotiques, en particulier les schizophrènes. Lui déjà était très précurseur dans ce qu’il faisait puisqu’il les appelait les participants. Donc nous aussi, dès qu’ils étaient mieux, dès qu’ils étaient un petit peu intégrés à la Velotte, ils allaient, on leur trouvait un bénévolat à l’extérieur. Donc déjà il pensait que c’était important de penser à la suite, parce qu’à la Velotte on restait longtemps. On reste toujours d’ailleurs cinq, six, sept ans voire plus. Donc les gens quand ils sortent d’un tel cocon, après une prise en charge totale, globale, pendant toutes ces années, après ils sortent, ils sont assez démunis.

 

Il faut vraiment prévoir l’extérieur et moi c’est ce que j’ai été chargée de mettre en place là-bas : c’est le suivi. Quand on pense que les gens sont prêts à sortir, il y a une césure et ensuite ils entrent dans le suivi pour six mois ou un an, de manière à les réinsérer progressivement pour qu’ils ressortent et retrouvent une place dans la société – ce qui pouvait être à Besançon. Les Invités au Festin accueillaient et accueillent encore des personnes qui veulent rester à Besançon et qui viennent de la Velotte et qui sont maintenant dans nos maisons à Besançon.

 


 

Donc notre structure s’appelle Les Invités au Festin. Est-ce que vous savez ce que c’est les Invités au Festin ? Je vais vous dire rapidement la parabole pour que vous sachiez un petit peu ce qui nous inspire dans cette association. C’est une parabole de l’Evangile. C’est Jésus qui donne cette parabole parce qu’il veut montrer que ce que c’est que le Royaume. Et la parabole c’est un roi qui invite ses amis. Vous voyez qui sont les amis des rois, quand même… Ce n’est pas nous, ce sont les riches. Il les invitent aux noces de son fils et tous refusent. C’est incroyable de refuser une telle invitation parce qu’ils sont occupés à leurs affaires, à leur commerce, à d’autres choses, matérielles, et qui n’ont rien à voir avec la convivialité, ou avec la relation, ou avec la fête. Et la fête… Pas n’importe laquelle, un mariage. C’est quand même la fête de l’amour. Et le roi est furieux évidemment, donc il envoie ses serviteurs chercher tous ceux qui traînent dans les rues, tous ceux qui sont les marginaux, les boiteux, les malheureux, les exclus de tous bords, et ce sont eux qui vont profiter de son banquet. Voilà, je cherchais un nom qui ne soit pas trop, comment dire, dans la charité, caritatif, et voilà j’ai eu l’occasion de lire cette parabole et ça m’a vraiment très touchée. Je me suis dis : « C’est nous ». Et il y a une suite à la parabole dans une des deux versions. Tout le monde vient, le roi voit tous ses convives et il y en a un qui n’a pas revêtu l’habit de noce. Et il lui dit : « Mon ami, pourquoi n’as-tu pas l’habit de noce ? » et l’autre ne répond pas. Il lui dit alors, il appelle ses serviteurs et ils leur dit : « Empoignez-le, jetez-le dehors, là où sont les cris et les grincements de dents ». Et il dit : « Il ne méritait pas d’être à la noce. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Cette version-là n’est que dans une des deux versions et pour moi c’est important parce que c’est la Loi.

 

C’est la Loi de mettre l’habit de noce, c’est être en relation. C’est jouer le jeu des relations, de la convivialité. C’est donner, recevoir, c’est être avec l’autre, c’est vivre avec l’autre, déjà avec soi-même et avec les autres. Et voilà, c’est le programme de notre association. C’est aider les personnes à être à nouveau en relation avec elles-mêmes pour accepter cette invitation à l’amour, c’est-à-dire tout ce que vous pouvez mettre sous ce mot…le but d’une analyse. Racamier disait que le transfert c’est quoi ? C’est de l’amour. Il faut le dire. Les psychiatres n’osent jamais employer ce mot parce que c’est un tel mot que c’est difficile, que c’est dévié, c’est tout ce que vous voulez mais n’empêche c’est quand même ça qui nous fait vivre.

 

Ici je pense qu’il n’y en a pas un qui n’a pas envie soit d’aimer, soit d’être aimé. C’est bien ça qu’on n’arrive pas à faire et c’est bien pour ça que le monde va mal. C’est la valeur fondamentale. Donc c’est dans cet essentiel là qu’on essaie d’être. On est dans ces valeurs-là, dans les valeurs fondamentales, humaines, citoyennes, qui fondent la démocratie. Sans ces valeurs-là, il n’y a aucun vivre ensemble possible. Et il y a la Loi, qui fait que si on n’est pas dans cette relation-là, il y a une limite. Et là on peut être mis dehors où il y a les grincements de dents parce que c’est affreux de ne pas être dans l’amour. On est dans la peur, dans l’enfer, on est enfermés, ça peut être l’hôpital psychiatrique, et il faut tout faire pour revenir dans cet état de bien-être que tout le monde recherche même sans le dire. Tout ce qu’on essaie de faire c’est ça : c’est la recherche de l’amour, du bonheur.

 


 

Voilà pour la philosophie. Et grâce à Racamier – j’avais déjà créé l’association quand je suis allée chez lui, mais – je peux vous dire que ça m’a vraiment aidée à ne pas faire trop de bêtises, à voir ce qu’il valait mieux faire avec des schizophrènes, ce qu’il ne valait mieux pas faire. Je pense que j’ai été à bonne école parce que c’est quelqu’un qui est tellement pragmatique et en même temps il est tellement dans la théorie. Il disait toujours : « Il ne faut pas avoir une théorie si on ne peut pas l’appliquer et tout ce qu’on fait, il faut pouvoir le théoriser ». Donc vous êtes sans arrêt dans un faire qui va avec un être et qui va avec une réflexion sur ce qu’on fait. Et c’est un cadre. Vous savez, il n’était pas Suisse, il était Franc-Comtois, mais pas loin de la Suisse, il a beaucoup travaillé en Suisse, et il était très…c’était le cadre. Velotte, c’est de la dentelle. C’est du cas par cas. C’est des outils inventés pour les personnes au moment où il faut. Des actions parlantes, on en a parlé. Et aussi, quand quelqu’un n’était plus dans l’esprit de la Velotte, il fallait le mettre hors du cadre. Et comment on fait ? Où est-ce qu’on le met ? Des fois on l’envoyait à l’hôtel, des fois on l’envoyait dans un monastère, il partait, et on le mettait hors cadre jusqu’à ce qu’il se remette dans l’esprit.

 

Ce sont toutes ces choses-là qu’on met en pratique dans les Invités au Festin même si on n’est pas un lieu de soins. Parce que c’est ce que j’ai eu envie de faire quand j’ai vu le sort qu’on réservait à ces personnes, qui sont réellement exclues, elles sont exclues de toutes les façons, et vraiment ils souffrent d’une extrême solitude. Non seulement ils souffrent du rejet qu’ils se font eux-mêmes des autres mais en plus en retour la société, nous les rejetons. Et tout le monde les rejette. Et pourquoi ? Je n’ai jamais compris.

 

Je ne comprends toujours pas pourquoi quand on a cette étiquette de malade mental, on est exclu à ce point. Personne n’est exclu à ce point. Il y a une telle peur, je pense, le poids des siècles, il n’y a jamais eu de changement par rapport à ça. Et moi ce que je voulais faire, c’est les accueillir tels qu’ils sont. Vivre avec eux. C’est-à-dire choisir d’être avec eux, de vivre avec eux, d’être en relation avec eux, pour qu’ils sortent de l’exclusion. Voilà, c’est un postulat, c’est comme ça. C’est une inspiration que j’ai eue, c’était comme ça. C’est simple comme idée : c’est vivre avec eux pour qu’ils ne soient pas rejetés. Ce n’était pas pour les guérir. Je n’ai jamais eu l’ambition et la prétention de vouloir guérir, sauver, tout ça. C’est uniquement pour qu’ils ne soient pas dans la solitude.

 

Parce que je trouve qu’il n’y a rien de pire que la solitude, l’isolement on peut dire, l’absence de relation. Parce qu’un être humain ne peut pas vivre sans relation. C’est la base de tout. Donc ce lieu est voué à la relation. Voilà, en gros. C’est ça, c’est cet esprit-là qui décline tout le reste. Tout le reste, c’est-à-dire, les buts c’est offrir un espace d’accueil, de partage, justement…donner-recevoir, de rencontre. Pour ne pas être seul, pour essayer de vivre des relations avec les autres. Pour tous ceux qui souffrent d’isolement, d’inactivité aussi, qui n’ont rien à faire. Les gens qui n’ont rien à faire et qui ont des difficultés de relation. Le deuxième but c’est les aider par les liens justement, qu’ils vont créer avec les autres, de découvrir leurs capacités existentielles à vivre et à être en relation. Et ensuite grâce à ces deux choses-là, le troisième but c’est les aider à retrouver un sens à leur vie. Parce que je pense qu’on ne peut pas vivre sans sens. Vingt pour cent des maladies viendraient de ça, de n’avoir pas de sens à notre vie. Pour ceux qui sont en plus en état de schizophrénie, je pense que c’est difficile de trouver du sens. Tomber dans cette maladie fait qu’on a encore moins de sens et on est encore plus désespéré.

 


 

Donc tout ça mis en œuvre à travers des activités, à travers des principes. Donc je ne pensais pas faire de la psychiatrie citoyenne mais celui qui nous en a parlé, c’est Bernard Jolivet, que vous connaissez peut-être, qui a été président des Croix Marines et qui est psychiatre, psychanalyste à Paris, qui a créé plein de structures qui s’appellent la SPASM (Société parisienne d’aide à la santé mentale). Toutes des structures du sanitaire. Quand il est venu à nos quinze ans, je l’ai invité et il y avait Martin Hirsch aussi, et il a dit devant 600 personnes : « Voilà, ils sont en train de faire la quatrième révolution psychiatrique… » -je suis désolée ce n’est pas moi qui l’ait inventé- « …c’est la psychiatrie citoyenne ». Après la psychothérapie institutionnelle – on a parlé des révolutions hier, quelqu’un a fait l’historique – la deuxième c’était l’invention des neuroleptiques ; la troisième c’était le secteur, mais le secteur vous le savez bien on ne pouvait pas aller au bout, on assiste à ce qui se passe maintenant, donc ça serait la citoyenneté, la psychiatrie citoyenne. C’est-à-dire que la société, elle-même, devienne soignante, accueille en tous cas les gens qui ont ces difficultés. Pour qu’ils retrouvent leur citoyenneté et que le citoyen lambda devienne vraiment citoyen, pour accueillir et permettre le vivre ensemble – le mieux vivre ensemble – de tout le monde.

 


 

Notre action est basée sur les quatre principes citoyens :

 

-La fraternité en premier, parce que c’est la plus difficile, et je crois que là c’est notre originalité justement, c’est de ne pas considérer les personnes avant tout comme malades mais de les considérer comme des personnes, comme nous, comme des semblables, c’est une alliance fraternelle. Vous voyez où je me situe ? Vraiment du côté de la personne et du côté de sa vie. De sa vie et de sa vie en société. Et non pas du côté de la psychiatrie. Ce n’est pas en tant que psychiatre en fait que je suis là et que j’ai créé ce lieu. Ce n’est pas en tant que psychiatre, il se trouve, que j’y suis. Vous voyez bien que je n’y suis pas en tant que psychiatre.

 

Je suis là en tant que personne, qui vit avec des personnes, et du coup il n’y a plus cette distance thérapeutique. Il n’y a plus ce fossé entre inclus/exclus, malades/bien-portants, soignants/soignés. Chez nous donc, et là il y a l’ambigüité dont on a parlé hier. Et grâce à Racamier je peux m’appuyer sur l’ambigüité positive, parce qu’il y a ambigüité positive et négative, mais là elle est positive. Parce que lui défend l’ambigüité positive qui est source de créativité. Là, Dieu sait qu’on s’en rend compte de la créativité qu’il y a et qui fait qu’on n’est dans aucune institution mais qu’on a à voir avec toutes les institutions. On n’est pas dans la psychiatrie, mais bon, on est quand même la psychiatrie d’une certaine manière. On n’est pas dans le social mais on est du social, on n’est pas dans l’éducation mais on l’est aussi, on n’est pas du religieux, mais il y a du spirituel, du sens, on n’est pas de l’économique mais on est en plein dans l’économie sociale. Vous voyez, on n’appartient pas à une institution, on n’est pas avec des frontières, on est dans la vie, point. Et la vie…est-ce que la vie est thérapeutique – c’est idiot de dire ça – mais si on est vraiment dans la vie je pense que ça aide à la thérapie. Vous voyez, toutes ces ambigüités qui font qu’on a une grande liberté et qu’au final, ça marche. Pas que parce qu’il y a le vivre avec.

 

-La liberté en deuxième. Aussi parce qu’il y a l’ouverture vers l’extérieur. On en parlait tout à l’heure : on peut très bien être dans une communauté, être dans un ghetto, complètement fermé, n’avoir aucune relation avec l’extérieur. Et donc ce qui est très important c’est l’ouverture, et qu’il n’y ait pas ce pouvoir qu’il pourrait y avoir dans une secte. Et ça j’ai vraiment eu peur, j’ai conscience de ça.

 

Il y a une grande ouverture, c’est pour ça qu’il y a tous ces bénévoles, on a une centaine debénévoles qui viennent pour plein d’activités, pour faire des nuits pour nous remplacer, et ça c’est l’action citoyenne. Et ça c’est aussi nouveau, c’est ce qui permet que des lieux comme ça vivent. Parce qu’on a très peu de financement et c’est tellement hors des clous que personne ne sait vraiment comment nous aider même s’ils ont envie. Et les bénévoles enlèvent complètement le pouvoir qu’on peut avoir parce qu’ils viennent de tous horizons. Il suffit qu’ils soient dans l’esprit, pas dans l’assistanat, mais en considérant les personnes comme des personnes qui ont beaucoup de choses à leur apporter, qui sont un autre semblable, qui ont toute une expérience de vie qu’eux n’ont pas forcément. Et les bénévoles ça leur fait du bien aussi parce que ça leur donne une utilité sociale, comme à tout le monde.

 


 

-Le troisième principe, c’est l’égalité. C’est-à-dire qu’on demande aux personnes de participer. On est contre l’assistanat et donc ils doivent participer. Les résidents doivent s’occuper de toutes les tâches ménagères, s’occuper de leur chambre… On a beaucoup de choses à faire dans cette maison, il y a des ateliers de responsabilisation, il y a une friperie ouverte au public, les résidents tiennent la caisse, ils vendent, il y a un bar où ils servent… Enfin vous voyez. Il paraît qu’on ressemble beaucoup à La Borde. Je ne suis jamais allée à La Borde mais il paraît qu’en France on est le lieu non pas qui y ressemble le plus, c’est ce qu’on m’a dit, je ne peux pas le dire, mais ça ressemble beaucoup à ce qui se passe là. Donc on ne sait pas trop qui est qui chez nous.

 


 

-Le quatrième principe, c’est la solidarité, qui est la mise en pratique au niveau matériel.On est dans l’économie solidaire et non pas dans l’économie du tout-marché, ce qui fait qu’on s’autofinance aux deux-tiers. On est comme les gens avec qui on vit. On n’est pas dans l’assistanat au niveau des finances. C’est le moins qu’on puisse dire puisqu’on s’autofinance aux deux-tiers. On est très peu financés puisqu’on est maison-relais, c’est-à-dire qu’on a 16 euros par personne par jour. Et l’accueil de jour, très peu aussi du Conseil Général. Donc on est obligé toujours de chercher des moyens, cela nous oblige à être créatifs. Par exemple de faire des vêtements, de faire des défilés de mode, de faire de la vente, de faire un tas de choses aussi qui aident les personnes à s’exprimer dans tous les domaines. Voilà, ça fait beaucoup de choses.

 


 

Les résultats, il faut quand même être concret, aussi : c’est que les gens vont mieux. Quand ils reprennent confiance en eux après ils se mettent à faire plein d’activités, les symptômes diminuent… Si quelqu’un entre dans ce lieu et qu’il accepte l’esprit, qui n’est pas facile, il y a un accueil de jour et il y a des lieux de vie. Dans les lieux de vie il faut vraiment qu’ils aient envie de vivre en communauté.

 

Vous avez compris que ce n’est quand même pas évident. Moi je vis, on a vécu avec mon mari pendant 10 ans dans ce couvent… D’ailleurs c’est grâce à lui qu’on a pu faire ça parce qu’un psychiatre tout seul ne sait pas. Je veux dire, je parle pour moi : il ne sait pas faire grand’ chose à part ce qu’il fait, et même. Il n’a pas forcément les pieds dans la réalité, dans l’économique, dans la finance, dans tout ça. Donc lui était directeur financier dans une entreprise et c’est grâce à ses capacités à ce niveau-là qu’on a pu acheter un ancien couvent qui à l’époque coûtait quand même 3 millions de francs – ce qui fait 450 000 euros je crois – et on n’avait pas un sou pour l’acheter. Donc on a acheté ce couvent de Capucins, ils nous ont fait un crédit vendeur. Ils nous ont fait confiance, on a payé sur dix ans. Maintenant on a le couvent, on a toujours pu rembourser – à l’époque 27 000 francs par mois – et on n’avait pas le premier sou. Je peux vous dire que quand on est arrivés dans le couvent j’ai commencé à moins bien dormir. Je me suis dit : « Mais comment on va faire ? ». Et on y est arrivés.

 

Il a fallu qu’on se débrouille et on y est arrivés et finalement après les autorisations sont arrivées. Et je crois que vous avez fait pareil… Vous avez commencé les choses.

 

Vous montrez que ça marche et après l’Etat a envie de vous aider. Mais il vous aide avec ses moyens et qui sont – si c’est dans le social – 15 euros par personne ; après si vous êtes dans le médico-social vous ajoutez un zéro... Bon après, du sanitaire, je ne voulais pas évidemment. Ce sont des lieux non-médicalisés.

 

Mais on a été obligés d’accepter un SAMSAH (Service d’accompagnement médico social pour adultes handicapés)qui est médico-social, je n’en voulais pas mais bon, c’est comme ça. On est obligés des fois de faire des compromis si on veut que ça dure. Parce que les utopies il faut qu’elles durent et c’est ça notre souci, c’est que d’autres personnes puissent venir et s’emparer de l’esprit et continuer.

 

Les résultats c’est que les gens ne sont quasiment pas ré-hospitalisés. On a compté que sur un lieu ça faisait 750 000 euros d’économie. Mais bon, ce n’est pas pour autant qu’on va le financer parce que pour l’Etat ne doit pas être grand’ chose 750 000 euros. Ils préfèrent payer les structures qui coûtent beaucoup plus cher et qui sont moins efficaces mais c’est comme ça.

 

On œuvre, on laboure le terrain pour que la société change son regard, soit moins stigmatisante. Vous savez que la France est le pays le plus stigmatisant au monde pour les schizophrènes. Donc ça ne m’étonne pas que quand on dit ce qu’on fait, puis vous les communautés thérapeutiques certainement, les gens se disent : « Pourquoi vous faites ça ? ». Il y a un tel regard négatif que ce n’est plus supportable.

 

Il faut vraiment qu’on continue ce combat et ce mouvement international qu’on a fondé avec les Québecois, avec des Suisses, des Belges, des Italiens… Donc il rassemble, il veut fédérer toutes les expériences qui vont dans ce sens-là. Je pense bien que les communautés thérapeutiques en font complètement partie parce que c’est tout ce qui est alternatif à l’enfermement, à la déshumanisation, à la chronicisation… Je pense que ce n’est pas moi qui vais vous démontrer que l’hôpital psychiatrique ne soigne pas, qu’il y a longtemps que ça a été dit. Racamier disait : « Je ne crois pas qu’un psychotique devienne comme ça normalement, c’est l’hôpital qui le chronicise, et qu’il est temps d’arrêter ».

 

Il est temps d’arrêter pour moi, et pour l’hôpital. Merci.

 

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00.28.10