Introduction et argument

(c) Petrus De Man
(c) Petrus De Man

 

Les Communautés thérapeutiques constituent un outil plutôt rare dans le champ de la psychiatrie. Il n'en est sans doute que plus précieux.

Le colloque «Communautés thérapeutiques: aussi intempestives que nécessaires» qui aura lieu à Bruxelles en mai 2014, prend le relais de celui qui fut organisé à Montréal en 2011 et dont les actes ont été publiés dans le livre d'Yves Lecomte et Francis Maqueda «Actualité des communautés thérapeutiques» aux éditions Eres.

Il devra permettre à différentes communautés thérapeutiques ( du Québec, de France, de Suisse, d'Italie et de Belgique) de témoigner de la spécificité et de l'intérêt de leur travail dans l'accueil de la psychose, essentiellement.

Les communautés thérapeutiques peuvent être dites intempestives parce qu'elles vont contre l'air du temps du néolibéralisme contemporain et d'une psychiatrie scientiste. Par contre, elles sont plus nécessaires que jamais pour relever de façon originale et humaine les défis que nous posent certaines cliniques. Et finalement, elles pourraient peut-être inspirer un type de lien social et d'habitat moins sauvage, bien au-delà du champ de la psychiatrie.

 

Ce colloque réunira des intervenants qui travaillent dans différentes communautés thérapeutiques accueillant principalement des sujets psychotiques, communautés se situant au Québec, en France, en Suisse et en Belgique.

Il se veut international francophone afin de créer un réseau de ces communautés, réseau d’échanges de travail, facilité par le partage d’une même langue.

Les objectifs que ce colloque se propose seront de réexplorer l’histoire des communautés thérapeutiques et surtout, à la lumière de celle-ci, de repenser leur avenir.

Il est indéniable que les communautés thérapeutiques ont un caractère de plus en plus intempestif, mais il est tout aussi indéniable que la demande de telles structures de soins se fait de plus en plus pressante. Leur nécessité est admise par la plupart des acteurs de la Santé mentale et les candidatures pour pouvoir y faire un séjour sont de plus en plus nombreuses.

Les définitions de ce que l’on entend par « Communauté thérapeutique » et la façon dont chacune d’elles se structure, varient d’un pays à l’autre. Mais en deçà de cette diversité qui fait que chacune est singulière, il y a un socle commun fait de traits qui les identifient.

Il ne sera pas inintéressant de faire, à l’occasion de ce colloque, la recherche, le recensement des invariants qui font la spécificité des communautés thérapeutiques.

Nous en proposons déjà ici quelques uns sans du tout prétendre être exhaustif.

Les communautés thérapeutiques sont des institutions de taille réduite, accueillant généralement de dix à trente résidents au maximum. C’est une nécessité pour parvenir à maintenir une ambiance où la singularité de chacun, résident ou travailleur, puisse être prise en compte.

Ces institutions sont intégrées directement et discrètement dans la cité afin d’éviter tout effet d’isolement ou de ségrégation. Elles sont généralement très ouvertes, les unes plus que les autres, sur la vie de la cité.

Le statut de ceux qu’elles accueillent est bien particulier à maints égards. Certes, ils sont en grande souffrance psychique et demandeurs de soins, mais la communauté thérapeutique sera d’abord un vrai lieu de vie pour eux. C’est ce qui fait que dans de nombreuses communautés thérapeutiques, ils sont dits « résidents » ou « résidants ».

Non seulement, la communauté constituera temporairement pour eux un lieu où habiter, où trouver leur « home », leur « chez soi », mais il leur reviendra de faire vivre, d’animer la communauté par une participation active au fonctionnement de celle-ci et par de vraies responsabilités dans sa gestion quotidienne.

Habiter implique une temporalité. Pour trouver une place dans une communauté, il faut du temps. Les séjours en C.T. sont généralement d’assez longue durée, allant de quelques mois au minimum à deux, voire trois ans au plus. Ce temps, ce choix de « donner du temps au temps » permet parfois un réel travail d’élaboration psychique. C’est ce type de travail qui est espéré et tenté dans les communautés thérapeutiques. C’est dire que leurs références de travail sont généralement psychodynamiques au sens large (psychanalytiques, psychothérapie institutionnelle, systémiques, sociothérapeutiques,…), rarement cognitivistes.

La base du travail est dans l’établissement d’une relation (d’un espace transférentiel) et dans son maintien, ce qui peut parfois s’avérer délicat et complexe.

C’est un travail qui toujours vise à faire place à la singularité de chacun (résident, membre de l’équipe, institution), à son caractère unique de sujet, mais pas au détriment de l’autre dimension de tout sujet, celle de l’institution, de la société, de la communauté. Chacun dans la communauté, résident ou soignant, doit pouvoir être et unique (« un unique ») et interchangeable (« un parmi d’autres »). C’est donc un travail d’équipe, un travail à plusieurs, où les réunions, les échanges tiennent toujours une place centrale.

C’est un type de travail où les dimensions du risque et de la responsabilité sont essentielles car il n’est pas possible que du sujet émerge si l’on ne prend pas le risque d’un espace vide, indéterminé, espace qui est aussi celui de la responsabilité ou de l’acte posé.

Les quelques traits que nous venons de relever sont autant de traits du caractère intempestif des communautés thérapeutiques dans le type actuel de société occidentale. En effet, l’évolution de nos sociétés va plutôt du côté d’un hyperindividualisme naïf (oublieux de la nécessaire dimension communautaire de toute existence humaine), du côté de l’évitement de tout risque, du côté de la sécurité, de la ségrégation, de l’enfermement, du côté d’une mondialisation / uniformisation, du côté de l’immédiateté ou d’un temps syncopé, du côté d’une dévalorisation des services publics au profit de privatisations, du côté du zapping et de l’errance au détriment d’un « habiter », du côté d’une certaine déresponsabilisation et d’un anonymat grandissant.

Comme certains le disent en souriant, les communautés thérapeutiques ressemblent à des îlots perdus dans le monde moderne, tels le village des irréductibles gaulois d’Astérix dans le monde romain ou le dernier des mohicans dans l’Amérique moderne.

Et cependant, leur nécessité semble paradoxalement de plus en plus grande. Les demandes de pouvoir y accéder sont de plus en plus nombreuses, que ce soit de la part des autres acteurs de la Santé mentale ou des « usagers » de la psychiatrie, comme on le dit aujourd’hui.

Si, au départ, il y a une cinquantaine d’années, les communautés thérapeutiques ont été créées comme alternatives aux hospitalisations psychiatriques de longue durée, elles en sont devenues des substituts du fait de l’évolution de la psychiatrie. Les réformes successives de la psychiatrie dans nos sociétés occidentales ont tellement réduit la durée des hospitalisations et réduit les possibilités d’hospitalisations au long cours que dans certains pays, la demande pour des séjours en communauté thérapeutique a explosé.

Les communautés thérapeutiques trouvent donc une place plus importante dans le champ de la psychiatrie du fait du changement assez radical du champ psychiatrique lui-même durant ce dernier demi-siècle.

Elles sont nécessaires de fait, palliant au déficit quantitatif de possibilités d’hospitalisations plus longues.

Mais et surtout peut-être, elles restent nécessaires parce qu’elles mettent en jeu un abord assez différent de la folie, un abord de cohabitation (un « vivre avec »), un abord qui ne fait pas de la folie une entité étrangère à la condition humaine, mais au contraire une dimension essentielle de celle-ci, une forme de l’altérité humaine.

Au risque de paraître prétentieux, nous avancerions que les C.T. sont comme des îlots d’humanisation dans un monde profondément bousculé par une trop grande idéalisation du discours scientifique et la perte de nombreux repères symboliques.

Bien qu’à contretemps du monde contemporain, bien qu’intempestives, elles en resteraient comme l’aiguillon nécessaire.

Ceci étant dit, si un des mérites des C.T. comme outil de travail est de résister à une déshumanisation fréquente de notre monde, il faut aussi que ces C.T. affrontent et répondent de façon originale aux mutations profondes de nos sociétés et du lien social qu’elles engendrent.

Il s’agit de trouver et de construire de nouvelles réponses aux défis de demain.

Ainsi, la dernière réforme en psychiatrie semble s’orienter vers le développement plus grand de soins à domicile ou du moins dans un environnement déjà constitué des patients. Comment les C.T. pourront-elles trouver une place dans ce nouveau paysage des soins en Santé Mentale et laquelle ?

Quelle évaluation les C.T. peuvent-elles proposer pour le travail qu’elles accomplissent, en sachant que celui-ci ne peut que très difficilement se ramener à des évaluations quantitatives chiffrées, mais doit parvenir à témoigner d’expériences et d’évènements singuliers, subjectifs, qualitatifs… sans verser dans l’ésotérisme, ni dans une sorte de flou artistique.

 

Les principaux objectifs de ce colloque seront donc :

-d’étendre et de renforcer les liens de travail du réseau des communautés thérapeutiques accueillant des patients psychotiques, réseau international francophone, initié par Yves Lecomte

-de retracer l’histoire des communautés thérapeutiques, de redéfinir les traits structuraux qui les spécifient au-delà de leur diversité et de dire comment la communauté thérapeutique nous paraît pertinente pour travailler avec certains psychotiques

-de penser l’avenir des communautés thérapeutiques dans un monde qui a beaucoup changé, notamment en se confrontant aux questions qui se posent déjà massivement au Québec : omniprésence des neurosciences en psychiatrie, exigences d’évaluation quantitative, concepts nouveaux issus du cognitivo-comportementalisme ( coping, empowerment, recovery,…).

Dans ce monde profondément différent de celui dont les communautés thérapeutiques sont issues, comment les communautés thérapeutiques pourront-elles garder leur âme ?