Le WOPS, une communauté thérapeutique de nuit

C. Wils et J.L. Butaje


 

 

I.                   HISTORIQUE … du ‘Wops de nuit’[1]

 

Nous ne nous attarderons plus sur le contexte des ‘années 60’, marqué par le courant tendant à fonder des ‘institutions extra-hospitalières’, ouvertes sur la cité et visant à ne pas couper les personnes concernées des milieux susceptibles de les soutenir (métiers, famille…) ; les origines du Cpn s’inscrivent dans ce courant.

 

En 1974, la commune de Woluwé se montrant intéressée de cette ‘offre de soins’, fondation de l’ASBL ‘WOPS’ dans la perspective d’une mise en réseau de ‘Centres’ (centre de jour et centre de santé mentale). Cette notion de ‘travail en réseau’ est donc présente d’emblée dans la constitution même de l’ASBL au départ de ‘suivis coordonnés’ et ‘d’accompagnements limités’. L’Inami, à cette époque, a favorisé et autorisé cela (si le besoin en était justifié) au travers de ‘conventions spécifiques’.

 

En 1979, création du ‘WOPS DE NUIT’ venant parachever l’idée initiale de ‘réseau’, chaque unité étant susceptible d’être ‘complémentaire’ d’une autre ou de s’envisager unitairement.

Le ‘Centre psychothérapeutique de nuit’ fut officialisé en tant que ‘lieu de soins’, ‘lieu de rééducation fonctionnelle’ avec un certain nombre d’idéaux et de règles de fonctionnement spécifiques : égalité de salaires, déstigmatisation de la personne concernée, engagement social…

En termes de dénominations, il fut question de fonder une ‘auberge’, une ‘coopérative’ et différentes appellations furent alors suggérées : hébergement thérapeutique, centre psychothérapeutique, centre de nuit, centre résidentiel partiel, structure intermédiaire…

Contrairement à l’attente initiale (‘accueillir en soirée et les nuits des personnes en difficultés mais encore insérées dans la société’), les résidents du Wops provenaient majoritairement de l’hôpital (60%) et le Wops trouva essentiellement une place de ‘structure intermédiaire’ ente l’hôpital et la cité.

Quant à la question du référentiel orientant le Cpn, ce fut, après un temps de réflexions et d’échanges, celui de la psychanalyse d’orientation lacanienne[2] (nous y reviendrons) et celui, demeurant, d’apprendre continuellement de la clinique tout particulièrement avec la psychose.

 

1993 : Afin de continuer à respecter les conventions collectives de travail, le Cpn est amené à repenser et réactualiser son dispositif organisationnel ;  auparavant, il n’y avait pas de personnel en journée pour recevoir, par exemple, des demandes de séjour, gérer les ‘situations d’urgence’…

 

2001 : A la demande de son Conseil d’administration, le Cpn signe un renouvellement de sa convention : l’augmentation du prix de journée est acceptée ainsi que des modifications d’encadrement. Ainsi, cette nouvelle convention autorise la tenue d’une ‘permanence’ en journée (habituellement garantie par deux intervenants) mais ne permet plus l’inscription simultanée au Cpn et dans un Centre de jour subsidié par l’Inami, ce qui constituerait une ‘double prise en charge’. De nouvelles dispositions imposant de ‘nouvelles pratiques’…ce qui ne va pas de soi…mais constitue précisément une spécificité et un enjeu dans notre clinique…ce dont Catherine va vous entretenir ci-après…

 

Jean-Luc Butaije

                                                                                                                                                                  

II.                Comment faisons-nous avec cette particularité d’être un centre de nuit ?

 

Comme Jean-Luc vient de nous en faire part, le Wops de nuit a été créé en vue  d’offrir une alternative à un réseau devenu impraticable mais dans une logique de prise en charge partielle, dans la perspective d’un renvoi constant et d’une ouverture quotidienne vers l’extérieur. Dans ce cadre, les résidents ont à sortir de 9h à 17 les jours de semaine.

 

Toutefois, si cette circulation obligée en journée semble de prime abord évidente parce que répondant à une image, à un idéal citoyen, elle n’en constitue pas moins, pour nombre de résidents, un défi majeur qui peut se révéler pour certains extrêmement difficile à soutenir. 

 

Comment donc nous positionnons-nous dans ce cadre particulier, qui comporte cette obligation pour les résidents de sortir en journée, afin d’en faire un outil pour notre pratique clinique ?

 

Pour répondre à cette question, commençons par prendre la mesure de ce à quoi les personnes qui font appel à nous ont à faire. 

 

Bien souvent leur mode de fonctionnement et les symptômes qui en découlent trouvent difficilement leur place dans le lien social, quand ce n’est pas ce qui les en exclue radicalement. C’est d’ailleurs ce qui les amène à nous.

 

Mais leur décrochage social ne peut pour autant être réduit à de seules difficultés d’adaptation à la norme qui prévaut dans la société. Que fait-il alors qu’elles sont à ce point désarrimées ?

 

Faisons un bref détour par ce que la psychanalyse nous apprend à ce sujet.

 

Si l’on se réfère à l’enseignement de Freud et Lacan, la psychose est une organisation subjective particulière, qui relève d’une logique propre, distincte de celle qui se rattache à la névrose d’une part et à la perversion d’autre part.

 

Une organisation subjective caractérisée par le fait que le langage n’y a pas l’effet qu’il a dans la névrose, de produire une coupure, une séparation entre le sujet et la jouissance. Le sujet reste donc l’objet d’une jouissance, non filtrée par la parole, qui s’impose à lui dans sa nature-même d’être « au-delà du principe de plaisir ».

 

Ne disposant pas de la référence symbolique amenée par le langage, référence qui fait en quelque sorte norme, pour tempérer la jouissance, il leur faut inventer des modalités personnelles, inédites, et donc bien souvent « hors norme » pour traiter ce qui les déborde.

Ces modalités singulières ne sont parfois pas autres que les symptômes qui les écartent du lien social de par leur caractère ravageant, lequel n’est qu’à la mesure de l’excès de jouissance qu’il y a à traiter.

 

Ainsi tout aussi « hors normes » et ravageant qu’ils puissent paraître, ces symptômes sont donc aussi les seuls moyens qu’ils ont à leur disposition pour tenter de se forger une place dans un monde dont l’organisation, structurée par le langage, leur reste étrangère.

Pour illustrer cela, nous pouvons reprendre Freud lorsqu’il dit que, par son délire, le paranoïaque ne reconstruit pas un monde meilleur mais un monde dans lequel il puisse y vivre[3].

 

Par conséquent notre travail consiste à accueillir le sujet et ses symptômes, en tant qu’ils sont une « tentative de guérison »[4], en vue de lui donner l’occasion de trouver les moyens de se ménager une place plus supportable et si possible - c’est le pari que nous faisons - moins ravageante et plus compatible avec le lien social.

 

L’ensemble du dispositif, loin d’être un programme préétabli dont la bonne exécution serait en elle-même thérapeutique, est un outil que l’on met à la disposition du résident : un outil dont il peut se servir selon un usage qui lui est propre pour tenter de traiter ce qui lui arrive.

 

Bien sûr le caractère ravageant, « hors normes », des moyens qu’il met en œuvre pour remédier à ses difficultés, ne s’arrêtent pas aussitôt entrer en institution. Nous avons donc à repérer, dans l’usage que le résident fait du dispositif, de quoi nous avons à essayer de nous faire le partenaire. Et de quelles manières.

 

Autrement dit, nous faisons place aux dires, au transfert et aux solutions du sujet et nous tentons de cerner au regard de sa logique subjective, les façons avec lesquelles nous pourrons tantôt accueillir, soutenir, tantôt border, tempérer, ses modalités de traitement.

Qu’en est-il alors des horaires de journées ?

 

Envisager le dispositif de cette façon revient à envisager le fait que les résident aient à sortir en journée, non pas comme une tâche qu’il leur faudrait réaliser pour parvenir à s’insérer, mais comme un des aspects du dispositif dont ils pourront se servir, ou non, pour traiter les phénomènes qu’ils rencontrent.

 

Dans cette optique et étant donné ce qui vient d’être dit de la psychose, il importe d’être attentif à la place que cet horaire va prendre pour chaque résident, au regard de la logique qui est la sienne. Car si certains vont pouvoir se saisir de cet horaire pour se forger une place dans le monde, d’autres ne vont pas pouvoir faire de même étant donné ce à quoi cela les confronte. Il y a alors parfois lieu d’ajuster l’horaire en tenant compte de ce qui est jeu pour le sujet.

 

Ainsi dans l’optique d’essayer de nous faire partenaire du traitement que le sujet opère, il y a parfois lieu d’inventer une façon d’aménager les horaires du Centre qui ne fasse pas exception à la règle tout en s’ajustant à ce qui est en jeu pour le sujet.

 

Car après tout, ce qui importe n’est pas tant qu’ils parviennent à sortir de 9h à 17h, que de leur permettre de réaliser le travail qu’ils s’efforcent de faire et qui, comme nous le rappelle A. Zenoni, consiste à « tenter de concilier le réel de la jouissance avec l’ordre du monde et les idéaux »[5].

 

Et nous pouvons constater que la communauté thérapeutique, en tant que lieu qui ménage une place au sujet sans le couper du lien social, en tant que dispositif qui permet d’ajuster la présence de l’équipe au quotidien, constitue un espace indispensable pour accompagner le sujet dans cette voie.

 

Catherine Wils

 

 

     III. Orientations générales dans le travail

 

Persiste l’enjeu du recoupement fréquent de l’abord de ‘la réalité psychique’ en institution, de la médecine, de la psychologie, du ‘savoir objectivé’…: on ne peut pourtant pas réduire une symptomatologie à un Sujet, à ‘de la folie’ ou ‘de la maladie mentale’…

 

Comme nous l’avons stipulé, si un temps fut pris pour ‘s’accorder’ en termes de référentiel, l’orientation thérapeutique du Cpn fut et demeure celle de la psychanalyse lacanienne estimant ne pas pouvoir réduire un Sujet à une personne, à une structure[6]. Même si les formations des intervenants du Cpn sont diverses, notre positionnement d’ensemble envisage la psychose comme ‘non déficitaire’[7], comme ‘une autre façon d’être au monde’… (différente du ‘modèle névrotique dominant’)

 

C’est une position qui  ‘responsabilise’, qui amène à chercher à comprendre de ce dont il s’agit (p.e. : pour nous orienter), de ce qui s’agit (p.e. dans la ‘clinique du quotidien’) et parfois nous agit (p.e. : des ‘effets du cas’).

 

A dessein, nous soulignons les apports essentiels du travail personnel, d’un cursus (dé)formatif, de l’importance des réunions[8], des collaborations, du travail d’équipe, de la ‘pratique de terrain’, du ‘vivre avec’…

 

Pour conclure, j’évoquerai certaines interventions glanées au fil de réunions, de ‘relais’, ‘dans notre clinique journalière’ auprès de mes collègues du Cpn, et qui me paraissent pouvoir illustrer quelque peu l’orientation de travail au ‘Wops de nuit’ : ‘Le souci essentiel de faire place à la singularité, à la subjectivité des résidents’, ‘Le travail avec les trouvailles de ceux-ci…comme de petits autres, d’être à leurs côtés…cela demande une certaine humilité’, ‘Le savoir de l’esclave’, ‘Se faire le scribe du résident, s’en ®enseigner…’ …

Pour tendre à cela, il faut composer notamment (cf. travail de Catherine) avec des temps spécifiques et des durées de séjour prescrites dans l’exigence d’un travail ‘communautaire et différencié’.

 

Enfin, s’il était une visée qui me paraît essentielle, je reprendrais celle qui anime nombre de nos ateliers, qui s’expérimente souvent au travers des ‘démarches en journée’, celle du ‘transfert de transfert’[9], c’est-à-dire de permettre un travail de translation entre ce qui peut se produire utilement à des moments particuliers d’un séjour pour un résident et une éventuelle meilleure appropriation de ce qu’il ‘vit’ ‘au-dehors’, ‘au-dedans’ et ‘au-delà’ (notamment) de la communauté thérapeutique du Wops de nuit.

 

                                                                                              Jean-Luc Butaije

 



[1] Informations recueillies principalement d’écrits et de documents du Cpn, élaborés essentiellement par Mme Nadine Demoortel, Directrice administrative.

[2] Qui était le référentiel thérapeutique de la Responsable thérapeutique et du Médecin psychiatre de l’époque.

[3] Freud : « Et le paranoïaque le réédifie  (son monde), pas plus splendide certes, mais du moins tel qu’il puisse de nouveau y vivre. Il l’édifie de par le travail de son délire » ; S. FREUD, Le président Schreber, Paris, PUF, 2004, coll. Quadrige, p. 69-70

[4]Freud : « Ce que nous tenons pour la production de maladie, la formation délirante, est en réalité la tentative de guérison, la reconstruction» ; Ibid.

[5]A. ZENONI, « L’Autre pratique clinique, Psychanalyse et institution thérapeutique », Erès, 2009, p.69

[6] La structure n’est pas le sujet : il faut que quelqu’un l’habite’ in ROUZEL, J., La supervision d’équipes en travail social, éd. Dunod, 2007, p. 142.

[7] ‘(à propos des résidents) On parle souvent à leur sujet de projets d’autonomie mais, en fait, ils sont très autonomes... : ils font souvent sans nous en se préoccupant moins du code commun qui règle nos rapports’, N. Demoortel.

[8] Nous avons une réunion de 4 heures chaque jeudi où des points d’organisation, le travail clinique, les propositions de candidatures, des sujets de supervisions, des questionnements…sont abordés par l’ensemble de l’équipe.

[9] Expression de J. Rouzel.