Une chambre à part, une chambre quelque part

(Contributions de Catherine Mockel, Philippe Léonard, Pauline Courtemans, Wendy El Kamel )

 

Un vivre avec l’autre, continu, sans césure possible du contact, dans l’espace physique et temporel, devient vite insupportable d’un point de vue psychique, et ce, pour tout sujet. Nous relevons ici la nécessité, propre à tout être humain, d’un jeu d’alternance de la présence et de l’absence de l’autre, des autres pour soutenir un travail de différentiation et de séparation. Ce qui nous renvoie au Fort-Da de Freud. Ce n’est pas possible si le sujet est tout le temps avec l’autre, ni s’il est tout le temps sans l’autre. En suivant ce fil, la chambre individuelle, dans la possibilité de l’espace propre qu’elle offre, nous paraît essentielle dans le travail thérapeutique proposé. En effet, c’est le seul lieu dans la maison où le résident est assuré d’être seul, s’il le souhaite.  Le propre de la communauté thérapeutique du Wolvendael est donc bien la co-présence de deux possibles : celui d’être seul et celui d’être avec d’autres.

 Aussi, cette thématique de l’alternance de la présence et de l’absence de l’autre dans le travail de la subjectivation se joue également dans la dialectique entre l’individuel et le collectif. Cette dialectique est sans cesse à l’œuvre dans le quotidien de la vie communautaire, avec les conséquences qui en découlent. Une des conséquences possibles est la mise en danger de l’équilibre de la communauté par une problématique individuelle. Par exemple, si un résident vit un moment de crise d’une telle façon qu’il met à mal la communauté (propos délirants et violents, agressions physiques et verbales, exercice de sa toute-puissance par de multiples diktats…), plusieurs modalités de ponctuation sont possibles.  L’exclusion de la communauté pendant un ou plusieurs jours peut être une solution ou une autre sanction qui indique la nécessité de tenir compte du collectif ou encore une hospitalisation. Ces moments de césure permettent bien souvent la reprise du séjour sur un mode à nouveau supportable pour le collectif…

Par ailleurs, la chambre se présente comme un lieu intime, « qui fait corps », en ce sens qu’elle permet d’assurer, dans la réalité, des bords autour du sujet. Ses murs lui donnent un espace propre où il est inscrit par l’institution et où il peut s’inscrire. Cet espace offre une enveloppe réelle, là où l’enveloppe symbolique défaille. Le sujet peut s’étayer sur sa chambre pour constituer un espace de subjectivation, où une dimension de son altérité peut se déplier sans que l’autre n’intervienne trop tôt, trop vite. C’est un espace à soi, pour soi, qui peut être une forme de prolongement  du sujet. L’espace qu’offre la chambre, se fait alors récepteur des représentations psychiques du résident. Ici, émerge l’idée que la façon d’habiter ce lieu va dès lors manifester la réalité psychique du sujet. Par exemple, certaines chambres frappent par une absence, un vide, un non investissement pulsionnel et désirant, chambres « sans âme », non habitées. Au contraire, d’autres chambres sont hyper pleines, où le remplissage du lieu est tel qu’il n’accueille pas l’autre, strates d’affaires mêlées, odeurs fortes et irrespirables, crasses, méli-mélo indifférencié où le résident, à l’extrême, ne peut plus bien habiter sa chambre. Elle est dans cette mesure un champ de symptômes du sujet, de ses difficultés à être avec le monde extérieur. C’est, entre autre à cet endroit, que des occurrences de travail clinique se présentent pour les travailleurs ; ce qui se passe dans la chambre peut être l’objet d’une adresse de l’équipe au résident. Cette adresse se fait au nom de la responsabilité du collectif que l’équipe soutient, dans le transfert, avec chaque résident. De cette façon, l’équipe va donner à ce qui se joue dans la chambre l’importance que cela peut revêtir dans les transferts que le sujet vit avec les autres résidents et avec les travailleurs.

C’est donc pour permettre une marge suffisante d’expression de ce que le sujet peut être, dans son altérité, que les chambres sont individuelles et que le dispositif institutionnel en place soutient une présence de l’équipe et des autres résidents la moins intrusive et interventionniste que possible :
-  pas de ménage par des tiers,
- tours des chambres épisodiques,
- clés différentes pour chaque chambre que le résident détient,
- pas de visite autorisée par les autres résidents ni par des personnes extérieures,
- utilisation du passe de l’équipe uniquement dans deux conditions précises : au lever si pas de « bonjour » dit derrière la porte et lors du tour des chambres annoncé clairement en réunion communautaire.

La perspective clinique est donc bien de préserver une unité de différenciation, une intimité qui est garantie par la réalité d’un espace physique potentiellement fermé, non ouvert aux autres. C’est clairement des espaces individuels inclus dans un espace communautaire. Ce dispositif d’occupation des lieux peut s’associer à celui de toute chambre dans l’espace familial.

Ceci est d’autant plus fondamental dans la pratique clinique avec des sujets psychotiques, notamment  pris par la question de la différenciation moi - non moi et d’autres difficultés telles des liens fusionnels, des angoisses d’intrusion et de persécution, des mouvements de retrait et de repli sur soi, un registre duel du rapport à l’autre où c’est moi sans toi mais pas avec toi…

En outre, le cadre institutionnel permet de travailler la responsabilité du sujet quant à sa chambre ; son état dépend de la façon propre dont le sujet va s’en occuper ou pas. C’est autant une responsabilité de soi qu’une responsabilité morale envers le collectif. S’il ne peut assumer cette responsabilité, l’état de sa chambre viendra vite l’exprimer. Souvent, quand la chambre devient inhabitable pour le résident lui-même, elle signe un insupportable et un impossible à être qui ressurgit lors de moments de décompensation.

 

Nous souhaitons illustrer brièvement des occupations particulières de la chambre individuelle par lesquelles le rapport du sujet à lui-même s’exprime. Le résident peut, dans la solitude de sa chambre, être renvoyé de plein fouet à son propre inconscient. Celui-ci peut se manifester par des hallucinations visuelles et/ou auditives par exemple ou par une chute dans un vide abyssal (versant plus mélancolique).Souvent, la nuit peut se  présenter alors comme source d’angoisses majeures.

 Une de nos résidentes actuelles souffre d’une psychose mélancolique et lorsqu’elle est seule dans sa chambre, elle peut vivre des épisodes d’effroi et de paralysie catatonique, où elle est littéralement « clouée au lit ». Elle nous dit qu’une chambre à plusieurs lui convient mieux, que l’autre, dans ses allées et venues dans la chambre, lui permet, par son animation, de l’animer et de la sortir de son épisode mélancolique. Elle exprime donc le souhait de plus de présence de l’autre mais peut souffrir d’un trop de présence de l’autre aussi…

Pour un autre ancien résident, durant la nuit, il est livré à ses voix sans discontinuer. Une de ses voix est celle de son père. « Mon père m’incante » nous dit-il. Dans son vécu délirant, cette voix passe par le radiateur de sa chambre, ce qui le conduit à l’arracher du mur !... Ses difficultés nocturnes associées à la présence massive de ses voix peuvent être traitées par le dispositif institutionnel dont, par exemple, la présence du veilleur, des autres résidents et de « leurs bruits », et du collectif s’incarnant dans les espaces communautaires.

 

Catherine Mockel

Psychologue

 Pour illustrer notre sujet voici une anecdote qui remonte à… il y a bien 20 ans, je débutais pratiquement mon travail au Wolvendael. Certainement quelques personnes ici présentes auront le souvenir de ce que je vais évoquer. Il ya une vingtaine d’années donc il y eut à Bruxelles un léger tremblement de terre. Au milieu de la nuit, vers 3-4 heures du matin, chez moi, je me suis réveillé soudainement. L’armoire brinqueballait, le lit était secoué. C’était un petit tremblement de terre qui ne fit que quelques dégâts matériels, essentiellement des cheminées abattues. Pas de victime donc mais il fut nettement perceptible et quand nous ne sommes pas habitués, qu’on ne sait pas ce qui se passe, c’est vraiment effrayant même si le phénomène n’a duré que quelques secondes. Le lendemain matin, je me suis rendu au boulot, c’était un samedi, jour de w-e. Je relève le gars qui fait la nuit et je m’apprête pour une grande journée de travail en solo. Au matin les résidents défilent au bureau pour prendre leur médication. Tous, je les interroge : « Alors t’as ressenti le tremblement de terre cette nuit ? » Tous me répondent : « Non » ou « Rien du tout », je m’étonne.

Est-ce possible qu’ils n’ont rien ressenti ? Sont-ils si maqué par leurs médicaments que leur nuit n’est qu’une sorte de coma ? J’en revenais pas.

Cependant, à un moment, voici Fabienne, jeune résidente d’une vingtaine d’années probablement schizophrène. Elle loge quant à elle au 3ème étage sous les combles. Ca devait bouger là haut ! Mêmes questions. Même réponse « Non, non rien du tout ». Puis au moment de sortir du bureau, elle se retourne, un sourire malicieux aux lèvres, elle m’avoue : « Oui cette nuit s’est passé cette chose mais c’est moi qui ait fait ça ».  C’est moi qui ait fait ça ! Telle était la conviction de Fabienne, jeune femme assurément très dangereuse. Dans sa chambre, la nuit, à elle seule, ou en compagnie du diable, qui sait ?

Elle est capable, par la force de son esprit de secouer l’écorce terrestre.

 Maintenant une autre anecdote, relative à la sécurité des personnes que nous accueillons. Je vous présente succinctement Caroline, une résidente de plus ou moins 25 ans. Elle est adepte des thérapies alternatives, vous savez de celles qu’on trouve généralement exposées dans la revue Bio-Info dont elle faisait la promotion au sein de la communauté. Connaissez-vous le Bio-Info ? Voici ce dont il s’agit : le Bio-Info c’est un petit magazine gratuit qui nous dit tout ou presque des méthodes naturelles, nouvelles, révolutionnaires, qui avec 3 pilules ou plutôt 3 décoctions spéciales, de 3 tisanes miracle vous soigne aussi bien les cancers que la psychose. Je ne veux choquer la sensibilité ou les opinions de personne, tout n’est certainement pas à jeter là-dedans mais on y trouve sûrement pas mal de fadaises !

Revenons-en à Caroline, adoratrice de Gourous et de dieux en tout genre à la condition qu’ils ne soient pas ceux des religions consacrées. Sa couleur préférée : le blanc, symbole de pureté. Sa nourriture préférée : purée macrobiotique immangeable qu’elle imposait à tous.

Caroline, on l’aura deviné, était portée à outrance sur la mystique et pratiquait sans limite la méditation. Dans sa chambre, une nuit, elle faillit en mourir. Tard le soir, elle avait allumé une bougie sans doute pour créer une ambiance propice à la méditation, mais elle s’est endormie. La bougie mit le feu à sa couette. Fort heureusement, l’alarme incendie se mit à hurler dans le bâtiment. Notre collègue veilleur de nuit est intervenu promptement, il entra dans la chambre avec son passe-partout, maîtrisa le début d’incendie tandis que Caroline, elle, ne s’était pas réveillée…

A n’en pas douter, sans l’alarme incendie récemment installée sur ordre des pompiers, elle aurait péri dans les flammes ou intoxiquée par les fumées. 

Quelle bénédiction que cette alarme incendie qui  certes coûta  bonbon à l’institution et qui ne fût pleinement opérationnelle que quelques semaines avant l’anecdote rapportée. Dans ce cas, soulignons-le, c’est le matériel qui est venu à la rescousse du spirituel !

La folie de nos résidents se déploie largement dans cet espace qui échappe à notre contrôle.

Citons encore quelques exemples : celui de ce résident qui sortait se promener sur le toit pour fumer des joints et boire des bières, un autre très délirant qui s’infligeait des décharges électriques ou plus récemment un gars qui se livrait dans sa chambre à des expériences de chimies fort inquiétantes.

Voilà le problème : offrir un espace et respecter cet espace privé tout en se protégeant de l’inconséquence de certains de nos résidents. Evaluer les risques de ce cadre n’est pas chose aisée. 

 Autre chose maintenant . Il y a environ une quinzaine d’années nous avons accueilli un type qui venait d’un hôpital de la région du centre, il était passablement chronifié et c’était un pari audacieux que de l’accepter au sein de la communauté. Disons d’emblée que c’est un séjour qui a tourné à court, ce type n’est resté qu’une quinzaine de  jours au Wolvendael. Très vite il fut évident que c’était trop dur pour lui, les charges communes, les responsabilités, une trop grande liberté aussi, le tout impossible à assumer pour lui, trop habitué qu’il était à la routine de cet hôpital ancienne mode. De jour en jour son hygiène corporelle se dégradait, mal fagoté, sale, sentant mauvais,  tandis que l’angoisse ne faisait qu’augmenter. Son désarroi fut tel que nous mettons donc fin prématurément à son séjour et le renvoyons à l’envoyeur. Son soulagement fut évident.

Encore fallait-il débarrasser sa chambre de ses affaires, voici ce que nous  avons vu dans la chambre. D’abord la valise et les deux sacs poubelles qui contiennent ses effets personnels avec lesquels il est arrivé sont posés là, au milieu de la chambre, ils n’ont pas bougé depuis le jour de son arrivée. Rien n’est rangé. Rien n’est investi. Mais le pire est à venir : le matelas, lui, est saturé d’urine. Ce matelas pesait bien 60 kg. Son poids étant réparti ainsi : 20 kg de mousse et 40 litres d’urine. Comment évacuer ça vers la déchetterie ? Il nous a semblé plus rationnel de balancer le matelas par la fenêtre. On s’y est mis à 4 pour le porter. Personne dans la rue..ok, « lâchez tout… » .

Je me souviens du grand « flôôôôtch » que cela a fait en tombant sur le trottoir.

Quand rien de va plus comme dans ce cas-ci - c’est aussi vrai lors des décompensations psychotiques - l’état des chambres, c’est souvent une histoire de corps qui se déglinguent, de merde, de pisse, de sperme, de mégots de cigarette, de déchets accumulés. Il n y a plus de comment, ni de pourquoi, ni même de mots.  Reste le basique de l’humain en souffrance, c’est de cela dont la chambre témoigne.

Un jour, un résident que j’aidais à ranger sa chambre ( lui son truc c’était l’accumulation de bouquins et de revues récupérées en rue dans les sacs jaunes ) il m’a dit : « Tu vois, ma piaule, c’est une poubelle. Et ben dans ma tête, c’est pareil ».

Pour conclure, je ne peux décemment pas vous laisser sur une impression si déprimante ! Le prix d’entrée du colloque est trop élevé pour cela ! Retenez donc que toutes les chambres ne sont pas dans un état aussi cataclysmique. La plupart sont bien entretenues, d’ailleurs de loin en loin nous y veillons. Certaines chambres sont même fort proprettes, on y voit parfois des peluches sur le lit des femmes et des maquettes d’avion sur les étagères des hommes. Voilà donc un bref tour d’horizon limité au 4 murs de la chambre. Mais j’ai déjà pris trop de temps de parole aussi je m’arrête là.

 

 

Philippe Léonard

Educateur

 

Une cage d’escalier, peu éclairée, où, en ce lieu d’intervalle entre un espace partagé avec d’autres et un espace à soi, la cadence de la minuterie de l’éclairage rend compte des différents passages. Sur le palier du rez-de-chaussée : un porte-manteau, où s’entassent des vêtements entreposés temporairement et d’autres délaissés par leur propriétaire. Au dessus de la porte, une lourde cloche, qui est utilisée pour l’appel à l’heure des repas.

 

 

 

Les murs bleus de la cage d’escalier sont égayés de différentes œuvres, réalisées par d’anciens résidents, éclairées par la lumière diffuse via d’étroites fenêtres assez basses, qui ne s’ouvrent qu’en oscillant battant.

 

 

 

Telle est l’atmosphère de ce lieu de passage entre l’espace communautaire et l’univers des chambres, où coexistent les différentes sphères personnelles de chacun.

 

 

 

La maison comprend en effet un large espace communautaire au rez-de-chaussée (cuisine, salle à manger, salon tv, salon fumoir, véranda et jardin), ainsi que des chambres, toutes individuelles aux étages, (et une chambre occupée par le veilleur de nuit).

 

 

 

Le Wolvendael est une communauté thérapeutique qui accueille une quinzaine de résidents.

 

 

 

A chaque nouvelle entrée dans la communauté, la personne reçoit une paire de clés : la clé de la porte d’entrée de la maison, ainsi que la clé de la chambre disponible qu’elle va occuper. Il s’agit d’un acte d’allure fort ordinaire, néanmoins empreint de symbolique, car cet instant signe le début du temps d’un séjour et donne à la personne entrante, le statut de résident.

 

 

 

Les chambres du Wolvendael sont réparties sur trois étages, au nombre de trois ou quatre chambres par palier, muni de sanitaires. Il existe en outre un système de répartition entre résidents, afin de maintenir un système de partage des tâches concernant le nettoyage des paliers.

 

 

 

Par ailleurs, le résident est responsable du nettoyage de sa chambre. Il n’y a pas de tiers (femme de ménage, ni autre) qui y entre.

 

 

 

Le travailleur du Wolvendael ne s’autorise pas non plus à faire intrusion dans cet espace et se rend aux étages, à priori, uniquement lors du lever et lors du tour des chambres.

 

 

 

  • Au moment du lever, nous ouvrons la porte avec le passe des chambres seulement si nous n’entendons pas de réponse au bonjour adressé. Il s’agit, plus que d’un état des lieux, une forme « d’état des personnes ». Par ce salut matinal : ils existent pour nous. C’est également une mesure de sécurité, prise du côté de la réalité, par laquelle nous nous assurons que tout le monde est bien en vie. Il existe d’ailleurs un dispositif de sécurité dans la chambre, un système où, si la porte est verrouillée de l’intérieur, le travailleur avec son passe peut entrer en cas d’urgence.

 

 

 

  • Le tour des chambres, lui, sans être trop formalisé, a lieu environ tous les mois. Par ce dispositif institutionnel, il s’agit d’une part, de ne pas laisser tomber l’autre, et d’autre part, de s’assurer de la non dégradation du lieu. C’est l’occasion d’être garant de l’institution et de ses murs. C’est un moment dont les résidents sont toujours avisés ; le tour des chambres est en effet annoncé à l’avance et rappelé en réunion communautaire.

 

 

 

Nous tentons de préserver la sphère intime du résident également au moyen du cadre, qui suppose de limiter les intrusions. Il s’agit d’espaces séparés, individuels, propres à chacun. Les visites au sein des chambres sont ne sont pas autorisées, aussi bien de la part des autres résidents, que de la part de visiteurs extérieurs à la communauté.

 

 

 

Il arrive que certains résidents ne se retrouvent pas dans l’agencement de l’espace. Chaque chambre possède en effet sa singularité (présence d’un balcon, étages, proximité ou non avec la communauté ou avec le veilleur) et un changement de chambre peut être accordé, une fois, durant le séjour.

 

 

 

Pauline Courtemans

Psycholugue

Il sagit ici de parler de comment la chambre est lun des objets de laccompagnement que nous proposons.

 

Entrons dans une de ces chambresPourquoi est-elle si délabrée? Pourquoi tous ces déchets prennent toute leur place dans cette chambre ? Autant sur la table de chevet que sur la commode, nourriture rassie entourant le littabac, mégots, étant le clou de la décoration.

 

Entrons dans une autre chambre. Elle, remplie de petits et grands objets ne laissant plus voir un millimètre des murs de cette chambre, donnant limpression dêtre encercl ou encore dêtre dans une bulle.

 

Cependant, avant que le futur résident arrive dans une de ces chambres, que se passe-t-il ?

 

Non pas quil sagisse déjà dune demande, il nous adresse quil est en difficulté, en souffranceet quil cherche peut-être un lieuun toi(t) !

Ce premier moment nous laisse entrevoir la possibilité doccuper une certaine place pour lui 

 

Le voilà à présent avoir passé le pas de la porte de linstitutionUn lieu comprenant plusieurs lieux: un bureau déquipe, un salon commun, une cuisine commune, un fumoir commun et une chambre au devenir singulier

 

Comment va-t-il sapproprier ces différents lieux parmi 15 autres résidents pour qui la question se pose tout autantToutefois, la chambre, sa chambre, cest son affaire, disons-nous

 

Mais à quel point est-elle son affaire ? Que dit-on en disant « son affaire »?

 

Dans le petit robert, létymologie de « Affaire » vient du latin ad: marquant la direction, le but à atteindre et faire du latin  facere : « placer, mettre, poser ». Donc, pourrions nous dire de laffaire que cest « quelque chose à poser en vue de ».

La définition donnée par le petit robert de « affaire » est « ce que quelquun a à faire, ce qui loccupe ou le concerne ».

 

 

Cette définition nest pas sans évoquer  toutes nos questions en institution et toute la littérature concernant la clinique des psychoses :  A quel point tel résident se sent-il trop concerné par le désir de lun ou de lautreou pas du tout concerné par ce qui se passe autour de luiA quoi a-t-il affaire avec lui-même et avec lautre ?

 

Ainsi, cette chambre peut devenir le lieu dune lecture du sujet à partir de ce quil y  « place », y « pose »

 

Dans la rencontre avec lun de ces sujets, J. qui enveloppe son corps dans de nombreuses couches de vêtements, qui laisse échapper une effluve dessences nauséabondes dont seul, lui, ignore le sens et lorigine, nous pouvons nous demander  comment ce corps existe pour lui ? Nexiste-t-il pas comme un tout indifférencié, pris dans sa dimension dobjet ?

 

Nous pouvons également nous interroger sur la manière dont J. occupe sa chambre.

Comme cité précédemment dans la définition du Petit Robert, « Occuper » cette chambre signifierait quil en fait son affaire, celle par laquelle il est concerné

 

En vous parlant de comment J. soccupe ou non de son corps, se sent concerné ou pas, là, nous vous emmenons aussi dans une chambre reflétant que J. nen fait pas tout à fait son affaireCest la première chambre dans laquelle nous sommes entrés[1]Retournons dans cette chambre que nous avons évoqué au début de cette intervention

 

Face à la manière dont J. ne se sent pas concerné par ce corps, cette chambre; en tant que travailleurs, à qui quelque chose a été adressé, cela nous concerneCest là, quil sagit doccuper une certaine place et à partir dune certaine position, permettre quun travail puisse se faire.

 

En effet, s'intéresser à cette chambre peut être le biais par lequel nous donnons une place au sujet, où nous lui signifions qu'il est inscrit dans une communauté.

 

C'est donc à partir du moment où l'on en fait aussi notre affaire, qu'elle pourra devenir sienne.

 

Ainsi, à partir d'une relation où il nous établit comme lieu d'adresse, dans la recherche d'un toi(t), que l'on peut également entendre comme la recherche d'un autre dont l'extériorité permettrait de soutenir son intériorité, nous pouvons faire état de tous les états de cette chambreC'est aussi une tentative de l'extraire de la dimension d'objet dans laquelle il peut être pris.

 

Evidemment, il ne s'agit pas d'indiquer un bon et unique ordre des choses, une seule et bonne hygièneIl s'agit d'abord de se mettre à côté de et de dialectiser la manière dont il peut occuper ce lieu

C'est Prendre le temps de tourner autourde ce qui n'est pas encore advenu mais toujours en deveniret ce, en garantissant un espace dans lequel le sujet n'est pas laissé tomber

 

Poser la garantie de ce type d'accueil n'est possible qu'en se décalant, en tant qu'institution, d'une norme ou d'un idéal qui pense à la place du sujet, qui pense pour le sujet

 

C'est en tenant ce fil, que nous posons les jalons d'une rencontre possible de telle sorte que puisse se nouer un lien, parmi d'autres où chacun peut inscrire sa place dans toute sa singularité.

 

 

Wendy el Kamel

Psychologue