Qu'en pensent les intervenants de la Communauté Thérapeutique "La Chrysalide ?»

Elena Bessa

Les origines de la Communauté thérapeutique La Chrysalide remontent aux débuts des années 1980 sous l’impulsion d’Yves Lecomte dans le cadre d’une association entre une institution du réseau public Le Centre de santé mentale de l’Hôpital St-Luc, aujourd’hui le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et une ressource communautaire Le Comité de santé mentale (COSAME dont la mission était d’offrir un service de fiducie à des personnes souffrant de troubles psychiatriques.

 

La C.T. La Chrysalide a dû s’adapter aux changements survenus dans le réseau de la santé et des services sociaux depuis les années 1980. Elle a cependant conservé son cadre et son orientation thérapeutiques de départ et a toujours favorisé un mode d’intervention psychodynamique et social. Le travail thérapeutique vise l’installation d’un rapport de confiance et de respect permettant au résidant d’expérimenter librement les sentiments et perceptions et de travailler sur les processus défensifs les plus actifs, le déni et le clivage.

 

Située à Montréal, dans le quartier du Plateau Mont-Royal, La C.T. La Chrysalide conduit deux projets différents: trois appartements supervisés et un foyer de groupe. Pour être admis, les résidants doivent avoir un diagnostic relié à la psychose et un suivi externe en psychiatrie. Le séjour est indéfini. L’organisation et le fonctionnement de ces deux projets favorisent le développement de l’autonomie et de la responsabilisation des résidents.

 

Les trois appartements supervisés peuvent accueillir cinq personnes, des adultes célibataires ou vivant en couple, qui bénéficient d’un encadrement et d’un support régulier par un intervenant (en personne ou au téléphone). Quant au foyer de groupe, il peut accueillir cinq résidants désireux de vivre une expérience dans un milieu de vie communautaire et de faire une démarche thérapeutique. Chaque résident occupe une chambre individuelle et tous partagent les espaces communs. Les résidants doivent subvenir à leurs besoins, sont responsables de leur vie quotidienne, de l’entretien des lieux, de leur médication, etc. Ils s’engagent à travailler sur les difficultés relationnelles et sur les conflits potentiels inhérents à la cohabitation.

 

Le programme thérapeutique du foyer de groupe comporte des activités obligatoires comme les réunions hebdomadaires de régulation (les lundis) et les soupers communautaires (les jeudis). Complémentaires et antimoniques à la fois, ces activités permettent d’aborder les conflits selon les contextes dans lesquels ils se manifestent. La réunion du lundi offre un contexte plus formel où il s’agit de prise de parole, tandis que la préparation du repas communautaire représente un contexte plus informel. Notons que le programme offre également des activités optionnelles comme les visites d’un thérapeute les autres jours de la semaine.

 

En m’appuyant sur des résultats d’analyse de deux focus group réalisés avec les intervenants de la Chrysalide, enregistrés et animés par Yves Lecomte, j’essaierai de faire ressortir les représentations que les intervenants ont de leur travail dans le cadre de deux activités obligatoires du foyer de groupe: la rencontre de régulation et le repas collectif. Je mettrai en évidence les réactions des résidants ainsi que les ressemblances et différences entre ces deux activités thérapeutiques.

 

La rencontre de régulation de lundi

 

Il s’agit d’une rencontre de groupe qui a lieu dans le salon de la maison, et qui est animée par deux thérapeutes selon une approche relationnelle. Cette activité comporte deux caractéristiques. Tout d’abord, elle possède un contenu spécifique qui renvoie d’une part, à l’analyse de divers aspects de la vie quotidienne; d’autre part, elle octroi de l’espace aux questionnements sur l’évolution personnelle de l’usager et sur les relations avec les autres. Les règles de la rencontre, pouvant avoir un contenu formel ou non, stipulent que chaque résidant intervient dans la discussion selon son propre désir. Il s’agit d’une occasion unique pour aborder la question de l’engagement des résidants dans les activités et dans les rôles instrumentaux qu’ils assument au sein de la ressource.

 

Les sujets abordés durant la première partie de la rencontre sont en lien avec la vie collective, plus particulièrement avec la gestion du quotidien. Étant donné que la deuxième partie de la rencontre de lundi porte sur le thème de l’évolution individuelle et du groupe, les sujets abordés touchent les problèmes individuels et les rapports interpersonnels. Un thérapeute fait la remarque qu’il est difficile, voire impossible de résoudre l’ensemble des difficultés mentionnées par les résidants durant une seule rencontre. Aussi les autres journées de la semaine permettent-elles aux résidents qui ont commencé à parler d’un conflit ou d’un problème de continuer à réfléchir avec les autres membres de l’équipe lors d’autres activités, qu’elles soient obligatoires ou optionnelles.

 

Le souper communautaire

 

Le souper communautaire, qui se déroule le jeudi soir dans la cuisine de la maison, est animé par deux autres thérapeutes. Étant donné que la préparation du souper exige une conjugaison d’efforts au niveau de la planification, de l’élaboration et de la présentation, chaque résidant assume, à tour de rôle, une part de responsabilité. Toutefois, c’est lors de la réunion de lundi que les détails sont abordés et définis, comme le choix de la recette et la désignation de la personne à qui on va confier la préparation.

 

L’activité du jeudi soir implique, pour les résidants, une mobilisation d’efforts à deux niveaux : l’acte de préparer le repas et la volonté de bien se nourrir. Pour certains d’entre eux, c’est leur seul repas élaboré de la semaine. Un des thérapeutes signale que l’effort de la préparation du souper combiné au désir de réussir la recette vient changer « quelque chose qui est relativement peu vivant » le reste de la semaine.

 

L’activité de jeudi possède aussi un contenu symbolique lié au désir de briser l’isolement quotidien. Or, malgré le fait de vivre en groupe, « ils vivent généralement isolés ou ils s’isolent eux-mêmes.» Dans la grande majorité des cas, la responsabilité de la préparation du souper exerce un effet de levier. Elle les rend plus vifs, plus stimulés à penser aux autres.

 

L’activité est décrite comme étant « un point de ralliement » important avec les résidants dans la mesure où elle favorise la création de liens de confiance, de socialisation et nourrit le « goût d’être ensemble ». Ainsi, autour « d’un geste quotidien, banal comme celui de manger, les résidants montrent une attitude d’ouverture à l’autre, de prise de décision, d’échange et de tolérance. Bref, l’acte de préparer et de partager un repas est une occasion privilégiée de se positionner en tant que « sujet », dans le désir de réussir quelque chose de sa vie, ne serait-ce qu’un seul instant.» Dès lors, c’est dans le dépassement de l’aspect purement « biologique et mécanique » de l’acte de s’alimenter que l’activité du jeudi acquiert une portée thérapeutique.

 

Maintenant nous abordons quelques thématiques particulières :

 

Les réactions des résidants et des thérapeutes au moment de « l’accueil » à ces deux activités

 

L’accueil offert par les résidants aux thérapeutes est considéré comme étant un moment clé autant pour la rencontre de lundi que pour celle de jeudi. Un des thérapeutes décrit l’accueil comme étant «un rituel», «une cérémonie» ou «un protocole» composé d’un ensemble d’habitudes et de règles qui se sont installées progressivement et qui se répètent à chaque semaine.

 

Au moment de l’arrivée des thérapeutes pour animer les activités, différents indices laissent découvrir l’atmosphère générale du groupe. Les thérapeutes les définissent comme étant « des odeurs de l’ambiance », des indicateurs de l’ampleur des tensions et des conflits. L'intensité de la lumière de la pièce, l’acceptation ou le refus du contact visuel, le type d’habillement, la façon d'être assis, le ton de la voix joyeux, tendu, décontracté ou l’état de propreté de la cuisine et l’état d’avancement du souper, etc., sont autant d’indices qui influencent directement le déroulement de ces deux activités.

 

Plus précisément, ces indices relèvent l’humeur du groupe (dépressive, paranoïaque ou un peu plus légère). Ainsi, il y a des occasions desquelles il se dégage « une ambiance de groupe », « un sentiment qui réunit le groupe », tandis qu’à d’autres occasions, le climat général est complètement morcelé.

 

Un aperçu de l’ambiance qui règne lors de ces deux réunions

 

Tout d’abord, l’atmosphère générale qui règne lors de la réunion de lundi, peut être saisie à travers le contact visuel qui permet de savoir « s’ils sont présents, s’ils veulent parler, s’ils sont plus ou moins déprimés.». En évitant le contact visuel, certains résidants ignorent du coup la présence du thérapeute. Dans ces cas, ce dernier tente d’établir une communication de base en s’approchant, par exemple, de la personne concernée pour aller lui dire « bonjour».

 

Ensuite, le décodage de la communication verbale et non-verbale permet de mieux cerner l’état d’esprit qui règne dans le groupe. Chaque rencontre présente des connotations particulières autant au niveau de la communication que du comportement du groupe. « (La communication) est parfois très fluide, le ton peut être très joyeux, détendu », alors que d’autres fois, « tout le monde est assis très peu expressif vraiment comme en retrait ».

 

Les thérapeutes pensent que le groupe a bien intériorisé le fait que, les lundis soirs, c’est une réunion où ils doivent « exprimer de choses difficiles », que « c’est un lieu de parole, un lieu d’échange». Certains se sentent ébranlés vis-à-vis cet exercice qui peut leur paraître très difficile à supporter et ils vont tenter de l’éviter par tous les moyens, par exemple, «en parlant des choses très superficielles, en essayant de s’acquitter de leur tâche en début de réunion, en se disant ‘je vais dire trois quatre phrases et je me débarrasse de ça’». D’autres résidants vont demander la permission pour sortir de la pièce en invoquant diverses raisons comme la soif, la faim, l’envie d’utiliser les toilettes, la prise des médicaments ou un malaise quelconque. En effet, face au contenu dérangeant, trop pénible ou insupportable d’un récit, d’aucuns adoptent une attitude de fuite ou de résistance qui se manifeste par le désir de vouloir quitter la pièce.

 

Comme le souligne l’un des thérapeutes du lundi, « dans tous les cas, on y va avec des gants blancs, il ne faut pas trop bousculer les affaires on y va de façon la plus douce et délicate possible». Un autre thérapeute qui anime aussi cette rencontre ajoute que «des fois on peut se sentir comme des intrus dans la maison, carrément on est là parce que on est censé être là, mais on sent qu’on serait mieux de ne pas être là».

 

Quant à l’ambiance du souper, elle est également très fluctuante d’une semaine à l’autre. Généralement, « il y a une envie de légèreté » et un refus des résidants d’aborder des thématiques qui touchent « de plus près leur détresse ou leur souffrance». Dans la plupart des cas, les thèmes de discussion durant le souper sont de nature factuelle et tournent autour des activités réalisées durant la semaine. Souvent, ils commentent les nouvelles sportives (le hockey) ou parlent des jeux vidéo, de musique ou d’informatique. Les échanges entre les résidants oscillent entre des moments remplis d’un contenu ludique (moments de rire, de partage, d’amitié) et des moments « extrêmement lourds où la parole ne circule pas,  il y a juste les plats qui circulent, parce qu’il y a des choses qui ne se disent pas ». C’est dans ces moments de silence que se cristallisent les tensions qui ont été vécues par le groupe pendant la semaine. Cette ambiance crispée pouvant être accablante, le thérapeute peut souvent se sentir comme « un trapéziste sur un fil, sans filet de sécurité ». D’où l’importance de développer « une bonne capacité de rebondir».

 

Les thérapeutes disent que l’ambiance du souper représente «un portrait instantané de l’état d’esprit du groupe en ce qui a trait aux rapports entre les résidants, y compris les conflits et les tensions qui apparaissent ».

 

Les attentes de la pratique thérapeutique à l’œuvre dans ces deux rencontres hebdomadaires

 

Les thérapeutes de lundi désirent faire un travail de régulation des rapports et de « recadrage » associé à la modification des comportements face aux divers conflits. Par leurs interventions, notamment dans la deuxième partie de la rencontre, ils cherchent à favoriser chez le résidant un travail de réflexion sur soi-même afin de l’aider à trouver un sens à son vécu et à faire des liens entre son expérience intime et les événements externes. Par exemple, les difficultés qu’ils peuvent vivre les uns par rapport aux autres, les problèmes de cohabitation, les tensions, la recherche du sens à la participation au programme thérapeutique, etc.

 

Plus précisément, les thérapeutes s’attendent à faire baisser le niveau d'angoisse, à favoriser une certaine contenance, à identifier les cas particuliers qui devront faire l’objet d’un suivi individuel, à encourager le respect entre participants ainsi que la libre expression des idées et des projets individuels et collectifs.

 

Un des thérapeutes qui anime la rencontre de lundi mentionne que l’objet de son travail au sein de la C.T. La Chrysalide est en lien avec la recherche de sens non seulement au niveau du vécu individuel du résidant, mais aussi au niveau de l’intervention thérapeutique. Un autre thérapeute dit : « Mon but, moi c’est de favoriser cette activité de penser au lieu d’être toujours en réaction ou d’être interprétatif (…) penser aux évènements qui les affectent et aux autres personnes avec qui ils vivent, comment cette situation peut les affecter».

 

Lors du souper de jeudi, le rôle des thérapeutes est d’animer, d’organiser et de structurer le groupe. Ils visent à améliorer l’ambiance générale du souper, à la rendre plus conviviale. Ici, il importe de mentionner que la situation de proximité qui se crée entre le thérapeute et le résidant par l’acte de partager un repas implique une redéfinition du rôle du thérapeute et de son approche. Le contexte convivial du souper oblige justement le thérapeute à chercher « la bonne posture thérapeutique », c’est-à-dire, le juste milieu entre« ce qui est trop familier et ce qui ne l’est pas assez.»

 

Questionnés sur leurs attentes au cours de l’activité du jeudi, ils ont répondu qu’ils visaient à travailler l’aspect relationnel lors de l’intervention, car « Il y a quelque chose de précieux » dans le fait « d’être en relation», « d’être avec eux sur un mode relationnel, sur un mode humain, avec ce qu’ils sont et avec ce qu’ils nous font vivre». De plus, les interactions avec les résidents permettent aux thérapeutes de mieux traverser les épisodes d’angoisse extrême. Dans ces moments, être en leur présence peut être « lourd et éprouvant », au point même d’affecter l’équilibre émotif des thérapeutes. Ces derniers s’attendent ainsi à consacrer beaucoup d’efforts afin de contenir la tension et les angoisses des résidants « On reste avec eux, on s’engage à être avec eux un certain moment et puis on tient notre engagement».

 

La perception des thérapeutes vis-à-vis l’investissement des résidants dans ces deux activités

 

Pour les thérapeutes, la motivation des résidants lors de la rencontre de lundi est déterminée par l'intensité des émotions qu’ils ressentent. Étant donné que la motivation est en lien direct avec les niveaux d’angoisse vécus par les résidants, il est difficile de la maintenir stable d’une semaine à l’autre. L’équilibre émotionnel joue ainsi un rôle clé dans l’investissement de la rencontre, c’est-à-dire dans l’adoption d’une attitude active et enthousiaste favorable à l’investissement personnel dans l’activité, ou au contraire être passive pouvant se traduire par le refus et la résistance.

 

D’une semaine à l’autre, les variations importantes dans l’ambiance du souper communautaire reflètent le type d’investissement des résidants. L’effort soutenu se traduit par le type de recette choisie et par les attitudes entourant le service, comme les formules de politesse, le volume des portions, le fait de ne pas oublier de servir un des convives, le contenu des discussions, etc. C’est ainsi que l’investissement personnel dans l’élaboration du souper requiert la prise en compte de l’autre, de ses préférences, de ses goûts et de ses restrictions alimentaires. Le repas est désormais une image de l’état émotif dans lequel se trouve le résidant qui a eu la tâche de le préparer.

 

Un faible niveau d’investissement traduit, par contre, la difficulté à s’organiser. Ainsi, les résidents qui sont plus désorganisés, qui sont un peu plus perturbés, anxieux ou délirants vont avoir beaucoup plus de mal à mettre en place un menu qui se tient. Le manque d’investissement se reflète, par exemple, dans le manque de goût de la nourriture. Pour certains résidants, cela peut être éprouvant de faire un repas. Il arrive des fois que la personne désignée pour s’en occuper va proposer quelque chose de minimal parce qu’elle n’a vraiment pas le goût de cuisiner ou parce qu’elle n’a pas d’énergie pour le faire.

 

Les réactions de tension vécues par les résidants durant les activités

 

Lors de la réunion de lundi, les résidants jouissent d’un espace de liberté pour exprimer leurs émotions qui peuvent être en lien avec des sentiments d’insatisfaction ou de frustration, mais aussi avec le sens qu’ils donnent à la participation dans le projet de la C.T. La Chrysalide. Selon les thérapeutes, l’exercice de prise de parole permet aux résidants de se confronter avec leur vécu et de faire le lien entre leur réalité intérieure et la réalité extérieure. La prise de parole en groupe a aussi un impact significatif sur l’acte thérapeutique du fait que la plupart des résidants ont tendance à invalider la portée de leurs opinions ou de leurs pensées.

 

Confrontés à des contenus lourds de sens ou trop angoissants, certains résidants manifestent une réaction qualifiée par les thérapeutes de « régression » ou de retour à des modes de comportement caractéristiques d’un stade antérieur de développement. Cela apparaît notamment quand il y a quelque chose de trop éprouvant dans leur environnement. Un thérapeute dit avoir l’impression que le résidant s’enferme parfois dans sa bulle pour ne pas être trop atteint». Ce type de réaction est aussi illustré par des rapports difficiles avec l’extérieur.

 

Un autre thérapeute ajoute que le processus de repli sur soi ou de régression est souvent accompagné par d’autres comportements comme « l’enflure paranoïde de la persécution », l’incapacité d’établir un dialogue avec l’autre et le manque d’habiletés sociales. Cette enflure ou fantaisie paranoïde alimente les heures et les journées jusqu’au moment où « ça devient intolérable».

 

Lors du souper, les conflits peuvent aussi s’exprimer par une tension extrême. Dans les mots d’un des thérapeutes : « tu sens que ça pourrait éclater à tout moment», tandis que dans d’autres moments, « tu as l’impression que c’est la mort». Les tensions dans le groupe reflètent leurs « craintes plus qu’autre chose». Ainsi, « il y a des fois où ils ne veulent pas être là», «tu as l’impression que c’est la mort, ils n’ont rien à dire, toi tu ne sais pas quoi leur dire, tu lances une petite phrase pour essayer de partir quelque chose et ça tombe pouf comme une roche et il ne se passe plus rien». En règle générale, plus il y a de la tension, plus ils mangent rapidement, selon l’un des thérapeutes « la nourriture est quasiment avalée avant même d’arriver dans la bouche tellement qu’ils ne veulent pas parler ».

 

Lors de certaines situations, comme l’éclatement d’une crise ou celle durant laquelle un résident est particulièrement déprimé ou désorganisé, le thérapeute doit agir rapidement. Il doit être en mesure de prendre beaucoup de décisions rapides puis, il doit savoir où se placer. Parfois, la marge de manœuvre est très étroite, notamment dans les cas où «il y a un résidant qui commence à moins bien aller et qu’on doit accorder plus d’attention et que soudainement on doit quitter le groupe». La gestion de situations conflictuelles place les thérapeutes dans une position où ils doivent s’occuper «pas juste de la personne qui est en crise, mais aussi du groupe», de sorte qu’il n’est pas toujours évident d’agir simultanément sur différents plans.

 

On comprend que la gestion des situations conflictuelles pendant le souper exerce un impact significatif sur le thérapeute et sur son rôle d’animateur et de « régulateur » des rapports et des comportements des résidants «La ligne est mince entre le fait de se laisser happer par l’espèce d’immobilisme, le silence le plus total qui règne parfois lors du souper ou s’égarer dans des tentatives pour lancer des sujets de conversation et puis, à un moment donné, s’entendre parler presque tout seul».

 

En conclusion:

 

Que pouvons-nous retenir de ces représentations qu'ont les intervenants de la C.T. La Chrysalide de leur travail et quels sont les facteurs facilitant leur travail d’intervention auprès des personnes vivant avec un trouble psychotique?

 

Quatre facteurs ont été mentionnés :

 

Le premier élément renvoie au travail en co-thérapie en raison du «soutien» que l’un des thérapeutes peut offrir à l’autre. Un des thérapeutes dit : « moi je vois ça comme un soutien, on n’est pas seul face au groupe, il y a des choses, des contenus qui sont parfois difficiles. Il arrive par moment qu’on est à court de mots, on vit une impasse par rapport à l’intervention avec un résident ou tout simplement le contenu d’un résident nous trouble».

 

Le travail d’équipe permet alors de mieux observer la dynamique du groupe et de dégager le sens du comportement non verbal «les réactions des résidents face aux autres résidents». Par ailleurs, la position d’observateurs donne aux thérapeutes un peu plus de stabilité et d’assurance afin de «mieux contenir ce qui se passe dans la dynamique du groupe».

 

Un thérapeute qui avait animé seul le repas communautaire se rappelle de situations difficiles auxquelles il avait été confronté. Dans ses propres mots, il raconte : « il faut mettons que tu laisses le groupe pour aller cogner dans une chambre parce qu’un résidant ne veut pas sortir de la chambre. Pendant ce temps-là, dans la cuisine, c’est pas forcément bien organisé, il faut que tu sois partout en même temps et tu es pris avec ça… Des patients avaient commencé à se battre… Un résidant était dans sa chambre avec un couteau… Des fois, tu es assis dans la cuisine, il y en a un qui se lève et il va vomir dans les toilettes. Alors là, tu as tout le monde dans la cuisine et on l’entend vomir dans les toilettes et là tu dis, qu’est-ce je fais, est ce que je vais le voir dans les toilettes?».

 

Le deuxième élément concerne la recherche du «plaisir». De l’avis d’un des thérapeutes, le plaisir «qu’on finit par retirer dans cette activité-là, c’est quelque chose qui est important, qui garantit à quelque part notre survie». Dans cet ordre d’idées, c’est «le plaisir d’échanger avec eux autres» qui motive le thérapeute à «revenir au repas» malgré le fait «qu’il y a des fois où c’est assez éprouvant, ça peut aller jusqu’à ressentir un sentiment de destruction».

 

Le troisième élément renvoie au « ressourcement » impliquant un investissement personnel du thérapeute pour évacuer «la charge émotive». On comprend « qu’il y a un travail à faire après coup pour se recomposer et ça demande un effort».

 

Enfin, le quatrième élément concerne le désir «de faire de la place pour que quelque chose de vivant naisse». Cela alimente chez le thérapeute le «goût de revenir», d’être «en relation avec eux», de développer plus de «compréhension» et d’être plus «tolérant» à l’égard de «leur souffrance». L’un des thérapeutes souligne que des fois «tu as l’impression qu’ils ne nous considèrent pas, autant il y a, d’autres fois, des manifestations d’une gentillesse qui peut être remarquable, qui peut être appréciable». C’est sont des moments de grâce qui permettent de faire oublier l’ambiance éprouvante qui règne la plupart de temps et de rendre vivant l’expérience thérapeutique. Un des thérapeutes raconte que grâce à ces moments de «grâce», il peut retrouver «le goût d’y retourner» et évacuer, par exemple, la charge émotive du souper, qui peut être excessivement lourde.