Présentation du livre "Actualité des communautés thérapeutiques" ss la direction d’Yves Lecomte et Francis Maqueda. 2013. Eds ERES. Toulouse.

François Maqueda

Psychologue clinicien. Santé mentale et communautés. Villeurbanne. France .

Évolution, intérêt et devenir des Communautés Thérapeutiques.

 

         À lire toutes ces contributions sur les communautés thérapeutiques, on est frappé par leur pertinence dans la prise en charge des sujets psychotiques. Leur pérennisation, sur plus de trente ans, montre de surcroît, qu’elles offrent un réel service à des personnalités dont la souffrance psychique les entraîne, soit à des hospitalisations itératives, soit à l’isolement mortifère. Dans l’un et l’autre cas, la chronicisation déploie son avancée inéluctable, hors de toute perspective de changement. Certes, ces communautés s’adressent à un faible nombre (encore que pour exemple, les deux communautés de Villeurbanne ont accueillies près de 180 patients depuis leurs créations) mais elles attestent par leur présence maintenue, ce qui s’est joué au départ pour des soignants, quand il leur a fallu reprendre le souffle de la psychothérapie institutionnelle avec ses accents multiples de chaque côté de l’Atlantique et faire vivre, le développement de la psychanalyse sinon de la psychologie dynamique, hors des cabinets vers ce que Racamier a théorisé comme « la psychanalyse sans divan ».

 

         Avec le psychotique, dont l’ancrage, à sa façon, dans le réel est bien connu, l’intervention nécessite une implication dans la réalité qui sera non antinomique avec le déroulé de la thérapeutique. Avec la notion « d’actes parlants » chère à Racamier, on entre en relation avec le patient psychotique au niveau où il se situe. Le milieu de vie devient une scène sur laquelle les sujets psychotiques jouent leurs conflits intrapsychiques. Aussi, les communautés thérapeutiques ont-elles connu un regain d’intérêt à partir des années 1970, quand des soignants critiques vis-à-vis du « tout hôpital », se sont mis à inventer « des lieux de vie », où le milieu résidentiel est pensé en vue de susciter des modifications des comportements et de la personnalité des patients.

 

         Cette inversion de perspective a impliqué un changement d’attitude des soignants à l’égard des patients dans une démarche plus égalitaire qui reconnaît que le sujet psychotique peut utiliser ses propres potentialités à des fins thérapeutiques pour peu qu’elles soient stimulées. Ce renversement s’est fait contre l’idée que le patient n’aurait pas le contrôle sur sa maladie, qu’il n’en aurait pas une part de responsabilité. Reste qu’il s’agira alors, de créer des situations de vie, permettant de favoriser le maximum de succès thérapeutique, à partir du postulat a minima psycho dynamique qui est que l’individu est influencé par ses relations avec ses pairs et que l’analyse et la compréhension de ses relations avec eux peut l’aider à se  transformer. En d’autres termes, on pourra parler de la création d’une atmosphère de confrontation avec la réalité, où la recherche de l’alliance thérapeutique sera fondamentale.

 

         Les dispositifs qui seront créés, ceux dont il est question dans cet ouvrage,   présentent bien évidemment des ressemblances et des dissemblances. Un point commun les rassemble : aucun thérapeute ne vit dans les communautés, afin de ne pas disqualifier le sujet psychotique du côté de sa pathologie. La formule villeurbannaise introduit des stagiaires, c’est-à-dire des jeunes futurs psychologues en formation qui partagent dans une dialectique « dedans-dehors » la vie dans la communauté. Sensiblement de même génération que les patients- résidents, ils offrent des points d’identification possible du côté d’une vie plus « normalisée ». Leur stage d’immersion dans les scénarii psychotiques, constitue un contrepoint original à leur formation théorique, dont on sait qu’elle peut servir de défense à éprouver de l’empathie pour des sujets souffrants, apparemment trop différents d’eux ; on sait combien la formation théorique peut être utilisée pour objectiver les patients dans leur pathologie. La réalité partagée va démonter ce leurre.

 

         Dans leurs ressemblances, les communautés thérapeutiques gardent pour objectif, la sauvegarde et la restauration de la vie psychique du sujet psychotique, contre laquelle celui-ci a construit une machine de guerre défensive très complexe et offensive contre la pensée. Il faut pouvoir, à la fois respecter cette défense mais lui permettre aussi de se déployer dans un milieu qui donne toute liberté d’organiser sa vie personnelle, relationnelle, professionnelle…en confrontation avec d’autres. Aussi, quand des thérapeutes interviennent-ils à l’intérieur des communautés, cela ne peut-il se faire que de manière réglée et ponctuelle, afin de réguler la vie commune, pour donner une finalité thérapeutique à la vie quotidienne. De cette manière, le caractère parcellaire de l’intervention du thérapeute, fait qu’il n’est pas forcément vécu comme destructeur, car il ne fait pas défaut ; et comme il ne se rapproche pas trop, il ne devient pas persécuteur.Sur un autre plan, la communication établie dans les séances ponctuelles de régulation de la vie quotidienne dans la communauté, va autant s’attacher aux messages verbaux qu’aux messages agis. Cet état d’esprit requalifie le sujet psychotique qui a tendance à disqualifier les messages verbaux et rapproche le thérapeute quand il s’intéresse aux messages agis.

 

         En effet, l’expérience du travail avec des patients psychotiques, montre que ces derniers ont principalement recours à « des mises en actes de leur vie psychique ». Les communautés thérapeutiques, en tant que milieu de vie, offrent au psychotique, selon les mots de Sassolas « un théâtre de soins », sur la scène duquel, il dépose ses affects et fait jouer aux autres, un rôle relié à sa problématique personnelle. Il va donc rejouer, à travers les situations vécues dans ces lieux, les scénarii sous- jacents à son fonctionnement mental : le deuil non résolu de son omnipotence infantile et la perte de la relation fusionnelle avec la mère. En d’autres termes, le rapport que le sujet psychotique entretient avec l’environnement se vit sous l’emprise de l’omnipotence et de la non- séparation. L’omnipotence est le reflet de l’image de soi grandiose, faite de toute puissance. La non séparation signifie que l’objet, soi ou autrui, n’existe pas, car le psychotique se confond partiellement avec l’autre, fusionné qu’il reste avec la mère archaïque. Pour le psychotique, la communication passe par le réel (d’où son hyperréalisme), car il semble rejetter toute représentation du symbolique, qui signifie l’absence de l’objet représenté par le symbole, ce qui lui est intolérable. On pourrait, à ce sujet penser, que le psychotique souffre en fait d’une hyper perception du symbole, au point que dès qu’il l’aperçoit, il l’abat. Il agit en quelque sorte comme  « un snipper du symbolique », mais c’est un travers très usité à notre époque. Aussi perçoit-il autrui, non comme différent et séparé, mais comme un prolongement narcissique de lui-même, sur lequel il va donc exercer un contrôle omnipotent.

 

         Dans le partage obligé avec d’autres dans la vie quotidienne, il va livrer en actes cette vie psychique, ce que les thérapeutes vont tenter de décoder, afin de la lui restituer. Mais cette restitution, cette communication devient possible, dès lors que le réel est présent dans la relation thérapeutique. Aussi les cliniciens et les résidents des communautés vont-ils communiquer dans un langage commun fait « d’actes et de choses ». Cela va aider à soutenir des mouvements contre l’auto disqualification, qui peuvent êtres ainsi contenus, atténués, alors que sans cela, ils seraient refoulés ou clivés au point de ne plus être significatifs. Encore faut-il veiller inlassablement à ce que la compulsion de répétition qui utiliserait les paroles et les actions des thérapeutes ne viennent pas aider à perpétuer les attitudes défensives de ces sujets à fuir le changement.

 

         On le comprendra aisément, le travail thérapeutique dans les communautés, n’est pas de tout repos, ne serait-ce que parce qu’un des axe principal reste la lutte contre la chronicité, alors même que les dispositifs sont pensés pour l’éviter. Cette dernière remarque soulève une incidence qui n’est pas sans effet sur l’avenir des communautés. Il faut en effet du temps pour arriver à entraîner du changement chez ces sujets qui consacrent toute leur énergie à ne pas vouloir changer, mais qui en même temps en souffrent. Or le temps et la continuité sont devenus des chimères à combattre depuis que nos institutions de soins sont passées sous l’emprise néo-libérale des décideurs sanitaires et sociaux. Le mode de gestion uniquement financier et la protocolisation des pratiques qui sont au cœur du dispositif de contrôle des tutelles étatiques, pourraient infléchir de manière péjorative le fonctionnement de ces mini institutions que nous avons promues, pour accéder de manière souple et appropriée à ces patients particulièrement résistants. Une génération de soignants, celle des années 1970, arrive en fin de carrière. Ils étaient porteurs d’une clinique qui impliquait une créativité sociale et institutionnelle, d’une inventivité clinique et relationnelle qui comprenait des prises de risques, ce qui les tenait à l’écart de pratiques psychiatriques plus normées.

 

         Aussi arrivaient-ils à maintenir à sa juste petite place, les lubies obsessionnelles de l’idéologie managériale (l’ex PMSI, programme médicalisé des systèmes d’information, et les nouvelles fredaines accréditeuses et certificatrices) qui cherchent à protocoliser nos pratiques en les vidant de leurs assises relationnelles. Cette psychiatrie industrielle transforme le patient en objet et propose aux institutions de soins de fonctionner à flux tendu. Elle emprunte au monde industriel, à celui de la grande surface sa logique de régulation, de dérégulation en fait, en s’appuyant sur le tout économique (le tout financier précisément) et sur les nouvelles technologies appréhendées sans beaucoup de préoccupations éthiques, notamment dans ce qu’elles imposent de logique binaire. On pourrait nous faire croire que les individus et les rapports humains fonctionnent sur le modèle d’une machine animée qu’on pourrait programmer à loisir : il suffirait de connaître le bon code d’utilisation pour la faire agir comme on l’entend. C’est une manière de se défendre contre l’éventuelle prise de conscience des contenus psychiques sous-jacents aux conduites sociales. Il y aurait comme une nécessité de se défaire de la transmission psychique pour objectiver une sorte de transmission biologico cybernétique. Du coup on recourt au cerveau pour décrire les phénomènes observés. C’est un refus ou une opposition à la métapsychologie, sous-tendue par la psychanalyse. Tout devient intégré dans un schéma comportementaliste où les mots d’ordre seraient : inclusion, uniformisation, homogénéisation. C’est une position de pouvoir où « la technique » s’impose comme « un prêt à penser » pour dominer les représentations psychiques, c’est-à-dire l’affect et ses figurations, la création de l’inconnu et sa mise en formes nouvelles, suscitant éventuellement le conflit. Le principe de précaution qui a été introduit dans les protocoles de soins tente de plonger les soignants dans une défiance de principe face à l’inconnu et à la nouveauté. La notion « d’événement indésirable » nourrit le rêve de la maîtrise absolue tapie sous l’illusion du risque zéro. De ce fait, le pouvoir managérial instaure « un collectivement correct », totalisant, décontextualisé qui obère le travail de la culture en fonctionnant comme emprise et en mobilisant la suspicion à l’égard des cliniciens.  Remarquons que cette logique  s’appuie sur le noyau le plus archaïque de l’être humain, celui ou par crainte de la séparation, il s’agglutine pour ne pas se différencier, à un monde maternel tout-puissant. C’est une logique totalisante, quasi psychotique dans son essence.

 

         On perçoit aisément qu’appliqué à nos communautés, un tel fonctionnement aurait un effet dévastateur. Les négociations que nous menons pour ouvrir de nouveaux lieux de vie, en vue bien évidemment de réduire les lits de l’hôpital psychiatrique , se heurtent aux impératifs du nombre et aux principes de sécurité.En d’autres termes, la mode n’est plus du tout aux petites institutions de moins de dix résidents, où le travail thérapeutique peut encore être ciselé avec délicatesse, mais à la promotion  au contraire de foyers de vie d’une quarantaine de patients, gardés par des professionnels     de basse qualification, encadrés par des équipes administratives dont le souci principal devient l’application des protocoles de précaution et de sécurité. Médication, gardiennage et activités contrôlées telles sont les maîtres mots des nouvelles entreprises  de soins. Cela constitue   de toute évidence un obstacle à nos pratiques artisanales du soin, d’autant que, de plus en plus de responsables administratifs actuels sont étrangers au monde de la santé. Remarquons cependant que l’impératif de sécurité, doublé de sa référence au droit, aujourd’hui dominant dans tous les secteurs de l’activité humaine, et la protocolisation des réponses qui neutralise les affects de sollicitude en les remplaçant par des éléments codifiés de réponse  sont les deux obstacles majeurs qui limitent la liberté intérieure de chaque soignant ou travailleur social, en ne favorisant guère le libre exercice d’une authentique sollicitude tempérée.(la relation est transformée en procédure éventuelle). Aussi nous faut-il résister à ces nouvelles pratiques institutionnelles et soignantes qu’on voudrait nous imposer ; non pas tant parce qu’elles apportent des réponses codifiées mais surtout parce qu’elles privent le sujet d’exercer envers lui-même ses propres capacités de sollicitude, qui est un des éléments constitutifs de l’estime de soi. Le nouveau « sujet » ainsi promu sera un usager, consommateur de réponses stéréotypées, homogénéisées, typique en fait du talon d’Achille paradoxal du nouveau monde libéral, c’est-à-dire son aspect totalitaire. Voilà le sens actuel de l’histoire institutionnelle : l’institution totale.

 

         Aussi les collègues qui nous succèdent dans ce travail dans les communautés devront-ils faire preuve de beaucoup de pugnacité pour lutter contre cette tendance à l’uniformisation des pratiques thérapeutiques que les nouvelles procédures         de validation tentent d’instituer. Lecomte le signalait déjà en 1995, il y a des embûches contemporaines au développement des communautés. Elles sont liées aux courants idéologiques traversant le champ de la psychiatrie et qui privilégient l’approche biologique et ses traitements ou la réadaptation avec ses solutions orthopédiques. Ces courants sont actuellement soutenus par la logique financière de rentabilité à court terme. Il ajoutait : « Paradoxalement, ces embûches à la création et au maintien d’une relation thérapeutique vivante ne décourage pas les divers interlocuteurs de ces lieux de vie. Au contraire, l’expérience clinique montre que, pour les intervenants et un grand nombre de résidents, ces communautés thérapeutiques stimulent les uns et les autres à rechercher les conditions du maintien d’une relation, dans le cadre d’une coexistence commune, qui leur laisse la liberté de penser et d’agir ».Enfin, cet ouvrage témoigne, qu’il est possible de penser, de soutenir, qu’un temps pourrait revenir où les institutions seront de nouveau jugées à leur capacité de respecter la vie, à construire du « vivre ensemble ».