Alexandre L'Archevêque, Ph.D.

De la spécificité des communautés thérapeutiques

Contribution à la table ronde

Après un colloque aussi stimulant, il en va de soi que les pistes de discussion abondent. Le temps accordé à cette table ronde étant cependant très limité, je me contenterai de vous faire part des quelques grandes lignes qui me viennent à l’esprit lorsque la question de la spécificité des communautés thérapeutiques est posée. En fait, une caractéristique en particulier émerge des présentations auxquelles j’ai assisté : l’intérêt que nous avons tous pour l’individu (du latin individuum, ce qui est indivisible), particule élémentaire d’humanité. Il serait même juste d’affirmer que, vu d’un certain angle, notre travail vise la subjectivation.

 

Dès lors, en admettant que nous accomplissions bel et bien ce travail de subjectivation, serait-il juste d’affirmer que nous représentons une solution économique, en comparaison avec d’autres ressources en santé mentale? Car souvent, au cours de ces deux derniers jours, j’ai entendu des présentateurs, dont Dr Ciompi, défendre notre travail en avançant cet argument. Comme si nous sentions qu’il faille justifier notre modèle, d’ailleurs.

 

D’un côté, je serais prêt à croire que c’est bel et bien le cas : plusieurs ressources ont su équilibrer leurs revenus et leurs dépenses au fil des ans, et ce, malgré un financement modeste ; leur pérennité est, selon moi, une preuve suffisante. Mais à quel prix ? Nous le savons, l’investissement humain est crucial pour qu’une communauté thérapeutique survive. Des thérapeutes dévoués – je dirais même compromis personnellement – sont requis. En effet, ce travail s’accomplit in situ, loin du cadre rassurant d’un bureau de consultation ; et à défaut d’avoir accès à un langage symbolique chargé de sens et porté par le patient lui-même jusqu’à notre bureau, nous servons, corps et âme, de matériel d’échange. C’est le cas de le dire, nous composons le langage par lequel le « eux et nous » est possible.

 

Bref, d’un autre côté, nous pourrions aussi affirmer que les communautés thérapeutiques sont particulièrement coûteuses sur le plan de l’économie psychique. Sans vouloir parler pour l’ensemble de nous tous, je peux témoigner que nous sommes, à la Communauté thérapeutique La Chrysalide, très « habités » par nos résidents. Dans notre ressource, si cinq intervenants se partagent un poste à temps plein, il est en autrement de l’espace psychique dédié à nos suivis ; à ce chapitre, nous ne comptons plus le temps supplémentaire !

 

J’ajouterai que, au sein des courants contemporains en santé mentale, les communautés thérapeutiques – qu’elles soient belges, françaises, suisses, néerlandaises ou québécoises – peuvent apparaître comme des récifs. D’abord, parce qu’elles ne rejettent pas la part sombre de leurs résidents, au contraire. Ensuite, parce qu’elles composent avec l’incertitude ou, dit autrement, parce qu’elles renoncent aux plans de traitement préétablis, pré formatés qui se veulent autant universels qu’efficaces, en termes de chiffres et de mesures. Certes, nous visons la réinsertion sociale, mais avec préséance de l’individu sur le citoyen.

 

Pour conclure, reprenons la question posée plus haut : les communautés thérapeutiques sont-elles des solutions économiques ? Oui, car nous faisons beaucoup avec, somme toute, un soutien financier limité, mais aussi parce que notre modèle est peut-être le seul à viser à ce point l’individuation. Malgré la rareté des points de comparaisons, il importe de souligner le coût associé à un tel travail. Si certains d’entre nous craignons parfois de manquer de financement, entre autres parce que nous apparaissons, aux yeux de certains décideurs, comme anachroniques, peut-être devrions-nous davantage nous soucier des ressources psychiques requises afin de poursuivre ce type d’intervention.

 

Au risque de terminer sur une note dramatique, je me permets de poser quelques autres questions qui sont matière à réflexion : disposons-nous d’une relève prête à s’investir à ce point auprès des résidents ? Plus précisément, notre modèle est-il toujours en mesure de séduire les jeunes thérapeutes issus de facultés et de départements qui prêchent de plus en plus une approche biomédicale en santé mentale? Dans les années 2010, le sujet humain peut-il être autre chose qu’un corps en équilibre ou en déséquilibre neurochimique ? Bref, l’individu souffrant a-t-il encore une voix à faire entendre ?

 

Depuis plusieurs décennies déjà, cette parole du résident est au cœur du travail accompli dans les communautés thérapeutiques. Pour avoir entendu, au cours de ce colloque, des cliniciens pionniers faire le récit de leur expérience, il semblerait qu’il n’ait jamais été aisé de viser l’émergence de cette parole. De toutes époques, la survie du sujet, comme celle de nos ressources, est demeurée d’actualité. Voilà d’ailleurs peut-être la principale caractéristique commune des communautés thérapeutiques, tant passées, présentes que futures : la survie.