Les Communautés Thérapeutiques à l'aune de l'habitat collectif contemporain

Olivier Delaive

Dans le cadre du colloque Communautés thérapeutiques, aussi intempestives que nécessaires, nous souhaiterions, au cours d’un atelier, poser un regard conjoint sur les initiatives d’habitat groupé en santé mentale et sur celles se développant actuellement en dehors de cette sphère particulière. Le recours au collectif dans une perspective thérapeutique a donné naissance en Belgique à différents projets d’habitats à plusieurs pour patients psychotiques en dehors des structures hospitalières, parmi lesquels figurent notamment les communautés thérapeutiques (notre analyse pourrait également inclure les habitations protégées). Parallèlement, il semble que dans l’ensemble de la société, l’habitat groupé ait accédé ces dernières années à une nouvelle forme de reconnaissance sociale (multiplication des projets, soutiens des pouvoirs publics, recherches et colloques sur le sujet, tissu associatif promouvant ce genre d’habitat).

Notre souhaiterions évaluer la pertinence d’interroger conjointement ces deux réalités et comment peuvent s’engrener :

:1) la nouvelle visibilité voire le nouveau prestige dont l’habitat groupé se trouve globalement doté, ainsi que les arguments mobilisés pour soutenir cette façon d’être ensemble (économique, écologique, humaniste, etc.), 2) la vertu thérapeutique supposée de ce même dispositif dans le cadre précis de la psychose.

Afin d’entamer ce champ encore largement en friche, nous partirons de l’hypothèse qu’il existe, à l’heure actuel, un hiatus ou une fracture entre d’une part la façon dont on perçoit et on pratique l’habitat groupé dans le champ de la santé mentale, et d’autre part, les raisons qui poussent, dans la société de façon générale, des individus à habiter de façon groupée. Dans le premier cas, l’habitat groupé est encore perçu comme un moyen, tandis qu’il est assumé comme une fin dans le second.

Dans le cadre des projets thérapeutiques en Belgique, il nous semble que le fait d’habiter à plusieurs dans un même lieu est vu, par les patients et par le projet lui-même, comme un outil thérapeutique mais non comme une fin en soi. L’habitat individuel semble rester la norme à atteindre en termes de réinsertion sociale et l’aspect communautaire une étape vers une autonomisation individuelle. Ce processus s’inscrit dans une individualisation, tant d’un point de vue historique qu’actuel, des parcours et du suivi en santé mentale. Cependant, tant les professionnels œuvrant auprès des patients psychotiques et parfois ces derniers eux-mêmes sont amenés à constater qu’habiter seul n’est pas toujours la solution la plus profitable pour la réinsertion des patients. Au contraire, cela risque d’isoler socialement la personne en augmentant les risques de retour vers l’hôpital. Professionnels et patients sont ainsi confrontés à l’absence de structures offrant un habitat collectif à long terme. Les patients se voient alors obligés de multiplier les séjours de courte et moyenne durée (deux ans au Wolvendael par exemple) qui peuvent être vécus comme autant d’échecs à s’intégrer socialement en tant qu’habitant autonome.

A l’inverse, dans de nombreux projets d’habitat contemporains, le fait collectif est mis en avant comme une valeur en soi. Habiter à plusieurs, en créant des espaces communautaires, en partageant un projet commun, n’est pas perçu comme un manquement, un palliatif, une béquille ou un retour en arrière.

De nombreuses différences existent bien entendu entre ces deux réalités, avec peut-être avant tout la question de la présence de la psychose ou non. Nous aimerions néanmoins évaluer d’une part la validité de ces deux constats et la pertinence de les interroger conjointement Plusieurs axes pourraient être développés :

- Comment expliquer cette différence d’appréhension et de légitimité de l’habitat à plusieurs ?

- D’un point de vue juridique, la question de la cohabitation, notamment au niveau des allocations sociales, peut se poser dans les deux types d’habitats.

- Comment se déclinent les appréhensions de « l’autonomie individuelle » dans les deux cas ? L’accompagnement et l’habitat individuel semblent rester la norme dominante dans les projets de réinsertion sociale (housing first, projet 107, soins à domicile) en vue d’atteindre une autonomie individuelle. y a-t-il un sens à parler d’autonomie collective ?

- Comment évalue-t-on la pertinence de ces dispositifs pour les patients psychotiques ? Dans les structures d’habitation collectives hébergeant des patients psychotiques comme le Wolvendael, le fait collectif et les lieux qui l’accueillent ont-ils pour seule fonction d’héberger et d’occuper (habiter à plusieurs permettrait surtout des économies d’échelle en bâtiments et personnels)? Ou plutôt, le collectif joue-t-il un rôle de tiers primordial dans le traitement de la psychose ? Si le fait collectif est ainsi doté d’une valeur thérapeutique en soi, pourquoi a-t-il le plus souvent une durée temporaire ? De même, dans l’habitat collectif non-psychiatrique, le fait collectif est-il porté par d’autres motifs qu’économique et comment ceux-ci réussissent-ils à asseoir une légitimité dans la durée ?

- Outre la question de l’autonomie réelle des personnes psychotiques, ne faut-il pas aussi se poser celle de la capacité psychique de celle-ci à accéder au registre symbolique de l’autonomie et de la séparation ? Dès lors, n’est-il pas pertinent de s’interroger sur ce qui participe socialement à cette définition symbolique de l’autonomie et du rôle que l’habitat collectif en général peut y jouer ?

- Tant l’habitat collectif en santé mentale et que l’essor de celui dehors de cette sphère témoignent-ils de concert d’une nécessité, d’une envie de plus de collectif dans notre société actuelle ?