Miser sur les expériences passées

Yves Lecomte

 

De nos jours, lorsqu'il est question des communautés thérapeutiques, et il faut bien le dire, cela n'arrive pas souvent, on en parle habituellement en termes négatifs. Elles sont traitées d’expériences du passé n’ayant pas su s'adapter aux nouvelles modalités de traitement, voire qu’elles sont antinomiques aux neurosciences et aux sciences cognitives. À l’inverse de cette perception d’expériences dépassées et obsolètes, nous postulons que les communautés thérapeutiques sont porteuses de changement, le plus souvent radical, et qu'elles continuent d’être un champ de créativité, d'innovation et de changement social encore d’actualité. Nous postulons qu’un des objectifs des communautés thérapeutiques est de combattre l'exclusion sociale de l'usager, et de modifier son sentiment d'étrangetéà l’égard de lui-même ou d’autrui. En contrant l’exclusion sociale et le sentiment d’étrangeté, les communautés thérapeutiques redonnent à l’usager la possibilité de se rétablir et de retrouver une place propre dans la société. N’est-ce pas un objectif encore d’actualité qui appuie la pertinence de l’action des communautés thérapeutiques.

 

 

 

L'ÉVOLUTION DES COMMUNAUTÉS THÉRAPEUTIQUES

 

Pour décrire la dynamique par laquelle les communautés thérapeutiques ont actualisé ce changement et combattu l’exclusion sociale et le caractère d’étrangeté, nous nous basons sur les quatre étapes, nommées générations, de l'évolution des communautés thérapeutiques (Lecomte, 2013).

 

 

 

 

 

 

 

  1. Première génération

 

Durant les années précédant la décennie 1950, les valeurs sous-jacentes au traitement des malades mentaux, terme utilisé à l'époque, reposent sur la conception que "La folie est une punition de Dieu qui ne se guérit pas". Le traitement étant impossible, les malades mentaux sont accueillis dans des lieux asilaires aux dimensions gigantesques (plus de 5 000 patients), aux conditions de vie carcérales. Dans ces lieux, le patient n'est pas traité mais hébergé et surveillé.

 

 

 

Des intervenants s'élèvent contre ces conditions et proposent de transformer radicalement ces lieux asilaires en communautés thérapeutiques, terme proposé par Thomas Mann en Angleterre en 1946. On propose de nouvelles valeurs pour guider l'organisation sociale et les soins. On parle de démocratisation (participation collective aux décisions), de permissivité (accepter des comportements qui ne respectent pas les règles sociales), de communalisme (fonder l'organisation sur la communication sociale quel que soit le rang social des intervenants), et de confrontation avec la réalité (analyser et confronter les personnes avec leurs comportements) (Rapoport, 1974). La taille des communautés thérapeutiques est réduite à un maximum de 100 personnes, et l'objectif de l'organisation est le traitement fondé sur l’analyse des relations sociales.

 

 

 

On peut facilement imaginer les réactions et les résistances des intervenants à la promotion et à la mise en place de nouvelles valeurs qui s’énoncent ainsi : la maladie mentale est une maladie comme les autres; il est possible de changer; il est thérapeutique de réunir les résidents et de les inviter à prendre la parole pour provoquer des changements; il est thérapeutique de solliciter leurs commentaires sur les intervenants, de les laisser circuler librement dans l'hôpital… De fait les nouvelles valeurs et leur mise en place furent vécues comme une rupture avec le passé, une véritable révolution des mentalités et du système hospitalier,

 

 

 

  1. Deuxième génération

 

L'émergence de la deuxième génération des communautés thérapeutiques est aussi une rupture radicale avec la génération précédente, et a exigé une grande audace de la part du leader attitré, Ronald Laing, et de ses collègues (Cooper, 1970) pour la mettre en application. Face aux résistances des autorités hospitalières d'expérimenter le modèle des communautés thérapeutiques, des psychiatres proposent de rompre avec l'hôpital pour créer de nouveaux lieux de résidence dans la communauté, et expérimenter plus librement l'application d'une nouvelle conception de la psychose. Cette nouvelle conception, métanoïa (ou changement, transformation) stipule que la psychose est un événement cyclique comprenant une période de fragmentation psychique suivie d'une période de reconstruction sur le plan émotionnel (Laing, 1968). Selon cette perspective, les expériences, même les plus bizarres, peuvent être comprises et les souffrances émotionnelles peuvent prendre un sens positif, si on offre aux psychotiques espace, temps ou encouragement pour faire, être et devenir ce qui leur a toujours été interdit d'être auparavant. Cette approche consiste donc à laisser s'opérer la métamorphose inhérente à l'expérience psychotique.

 

 

 

La deuxième génération des communautés thérapeutiques propose comme alternative une place où une personne vivant un effondrement psychotique sera encadré jusqu’à ce qu’elle émerge de la psychose sans recourir à la médication et sans intervention médicale. L’hypothèse est que la guérison naturelle émergera si le milieu offre une tolérance suffisante et un soutien émotif et pratique. À nouveau, nous assistons à une rupture avec les valeurs dominantes de l'époque, même avec celles de la première génération de communautés thérapeutiques. Au lieu d'offrir un lieu structuré avec des activités quotidiennes obligatoires, et concevoir les étranges expériences de ces personnes comme une maladie mentale, la deuxième génération propose un lieu sans contraintes sinon celles reliées à l'évolution de chacun, un lieu où il n'est pas possible de distinguer les personnes en crise de celles qui ne vivent pas de crise, ou de manifestations symptomatiques.

 

 

 

  1. Troisième génération

 

Après la fermeture de Kingsley Hall, on assiste au développement de deux autres modèles: l'un s'intéresse aux personnes en crise psychotique (Soteria House), et le deuxième s'intéresse aux personnes en souffrance psychotique à long terme (Arbours Association).

 

 

 

  1. Arbours Association

 

Pour les personnes en souffrance psychotique continue, le modèle type est Arbours Association. Fondées après la fermeture de Kingsley Hall, les communautés de cette association se sont progressivement éloignées des conceptions de Kingsley Hall pour intégrer les principes de la psychothérapie, et de l’apprentissage des habiletés sociales dans un milieu de vie. Ces communautés se sont éloignées de l’idée d'offrir uniquement un refuge pour libérer la folie (Fabre, 1978).

 

 

 

Leur objectif est d’aider les résidents à faire face aux difficultés et à « travailler » sur ce qui les empêche de s’épanouir. On essaie aussi de les motiver à atteindre une vie plus satisfaisante et à vivre comme des membres d’une société à laquelle ils contribuent. Le programme de ces communautés implique que les résidents doivent participer au quotidien de leur milieu de vie où des facilitateurs communautaires résident. Les résidents apprennent à devenir responsables d’eux-mêmes ou des autres, et développent des habiletés relationnelles, sociales et domestiques. Les résidents sont encouragés à explorer et à développer des liens avec le monde externe.

 

 

 

Le programme comporte des réunions bi-hebdomadaires animées par deux co-thérapeutes (responsables du volet thérapeutique) durant lesquelles les résidents peuvent explorer et clarifier leurs enjeux personnels et interpersonnels. Le groupe peut aussi offrir une expérience d’appartenance qui manque souvent aux individus qui ont été isolés par leurs problèmes. S’ajoutent deux entrevues de psychothérapie hebdomadaires durant lesquelles les résidents peuvent explorer la signification de leurs problèmes et leurs difficultés. Il y a fréquentation d’un groupe d’art et de mouvement durant lesquelles les résidents explorent un autre medium que les mots. Il y parfois des rencontres avec les familles en leur présence. Les résidents peuvent être référés dans un centre de crise si besoin est. Enfin, il y a une évaluation régulière de leurs besoins.

 

 

 

Ce modèle apparaît moins radical que celui des deux générations précédentes. Mais il comporte des caractéristiques novatrices en rupture avec les conceptions de la psychose des années 70: offrir un lieu de vie avec accompagnement, baser les interventions sur l'approche psychanalytique, laisser les résidents vivre à leur rythme, s'adresser à eux comme à des sujets et non comme à un diagnostic, etc.

 

 

 

3.2 Soteria House (salut, délivrance)

 

Le caractère radical des communautés thérapeutiques est plus manifeste dans le deuxième modèle de cette troisième génération: un centre de crise pour jeunes psychotiques nommé Soteria House sous la direction de Loren Mosher (1999). Quel est ce modèle?

 

 

 

Il est basé sur trois postulats: a) une unité de soins hospitalière n'est pas un lieu propice pour qu'une personne désorganisée puisse vivre une crise psychotique. Sa taille en termes physiques et ressources humaines est trop élevée pour qu’un lien de confiance en autrui puisse se développer; b) sa structure sociale est trop rigide et hiérarchisée pour permettre au personnel de développer avec la personne en crise une relation privilégiée. Elle ne favorise pas la créativité et l'adaptation nécessaire pour faire face à un événement comme les actes agressifs; c) enfin, la médication est trop souvent utilisée pour ne pas dire surutilisée.

 

 

 

Les principes sont les suivants. L’expérience psychotique a un potentiel unique de réintégration et de reconstitution si elle n’est pas prématurément terminée ou orientée vers une forme de compromis. Conséquemment, les facettes de l’expérience psychotique sont fondées, lessymptômes étant des manifestations extrêmes de qualités humaines de base. Les comportements irrationnels et les expériences mystiques ont un sens accessible à la compréhension. Si le processus de fragmentation est valide et qu’il a un potentiel de croissance psychologique, il est plus facile de tolérer l’expérience de la réaction psychotique avec ses diverses manifestations, et non de la traiter.

 

 

 

Les résidents ne sont pas considérés comme malades, car cela invaliderait leur expérience. Il s’agit de leur fournir un lieu qui facilitera l’intégration de la psychose dans la continuité de leur vie. Mais des limites sont posées, non parce que les autres résidents sont incapables de tolérer la maladie de l’un d’entre eux, mais parce que la personne peut être en danger pour elle-même ou pour autrui, menacer l’intégrité ou la poursuite du programme.

 

 

 

Le programme est basé sur des interventions phénoménologiques et interpersonnelles continues qui se font dans une maison familiale, soutenante, protectrice et paisible, c’est-à-dire un environnement tolérant. Les intervenants développent avec le résident une relation non intrusive, non contrôlante mais empathique. L’expression utilisée est « being with » être avec l’autre (la proximité humaine). Les interventions poursuivent plusieurs objectifs : a) comprendre (psychodynamiquement) et partager avec le résident son expérience psychotique et ses réactions sans le juger, l’étiqueter ou l’invalider; b) développer la croissance du résident, l’aider à prendre des décisions, partager les responsabilités avec le personnel qui n’est pas là pour traiter explicitement. Le but est le développement d’une compréhension, partagée par le personnel et le résident, sur la signification de ce qui arrive au résident en fonction de son contexte social actuel et de son histoire. Aucune session de thérapie n’a lieu dans la résidence. Toutefois, en travaillant à bâtir des ponts entre les états émotifs désorganisés des résidents et les événements de vie qui semblent avoir précipité leur désintégration psychologique, une certaine forme de thérapie a lieu. Le programme a des attentes positives à savoir une réorganisation résultant de ces interventions minimalistes. Enfin, des limites sont posées à l’égard de comportements inacceptables comme la violence, et l’usage des médicaments n’est pas requis durant les 6 premières semaines de résidence. Par la suite, si aucun progrès n’est noté, on recoure aux neuroleptiques à des doses appropriées. Mosher propose donc que les médicaments soient utilisés sporadiquement et qu’ils demeurent sous le contrôle du résident.

 

 

 

  1. Quatrième génération

 

Cette génération poursuit dans la même voie que la troisième génération mais avec certaines modifications.

 

 

 

  1. La Baïsse

 

Quelques projets développés à partir des années 80 se sont inspirés de l'approche d'Arbours Association. Il y a la Communauté thérapeutique La Chrysalide de Montréal décrite dans ce volume par Elena Bessa. Il y a aussi la Baïsse localisée à Lyon (Sassolas, 1995). Attardons-nous à cet exemple. L'approche théorique de cette communauté est ancrée dans la psychanalyse issue des travaux de Racamier, Klein, Kohut, Searles, etc. Marcel Sassolas, instigateur de ce projet, a développé une théorisation sur le fonctionnement psychique et le système défensif du psychotique de la psychose qui peut rendre compte de l’évolution des résidents dans ces communautés (Lecomte, 1995).

 

 

 

Quel est ce projet? Dans une résidence qui s’apparente à celle de l’entourage y vivent 6 à 8 résidents. Aucune limite de temps de séjour n’y est fixée. Y vivent aussi deux stagiaires durant une période de six mois. Chacun organise sa vie à sa guise, est responsable de ses activités et doit subvenir à ses besoins, Chacun doit aussi participer au bon fonctionnement des lieux. Il y a des règles à respecter : suivre son traitement médicamenteux, interdiction de violence et de drogues. La consommation d’alcool est tolérée jusqu’à une certaine limite. Il y a une caisse commune pour les dépenses collectives, et des repas communautaires selon le désir des résidents, de même qu’un tour de garde pour l’entretien.

 

 

 

Le programme thérapeutique est le suivant. Il y a une rencontre hebdomadaire de régulation avec les deux soignants dans la communauté. Trois fois par année, le médecin psychiatre accompagné par le directeur de l’institution Santé mentale et communautés, responsable des communautés, rencontre les résidents pour les aspects matériels de la maison. Les résidents peuvent suivre une psychothérapie individuelle en-dehors de la communauté. Il y a enfin une rencontre mensuelle avec les deux soignants responsables de la communauté et le médecin psychiatre au centre médico-psychologique.

 

 

 

  1. Soteria Berne

 

Après la fermeture de Soteria House au début des années 80, Luc Ciompi en reprend l'idée et l'implante à Berne, en Suisse. Malgré d'importantes modifications apportées au projet, il en a gardé le caractère essentiel. Comme Luc Ciompi décrit son projet dans deux articles de ce volume, nous insisterons seulement sur le fait que ce projet a conservé son caractère radical malgré son intégration aux ressources hospitalières, et qu'il constitue encore une rupture d'avec les valeurs et les modèles offerts par les institutions aux jeunes psychotiques en crise.

 

 

 

ÉCLAIRER LA DYNAMIQUE

 

Que retenir de ces expériences qui puisse éclairer la dynamique de leur création? Nous proposons six facteurs qui peuvent servir d'assise à cette analyse.

 

 

 

  1. Les formes d’exclusion et les communautés thérapeutiques

 

Les différentes générations ont poursuivi plusieurs objectifs dont l’un est de changer la situation problématique à l’origine du double rejet de la personne en psychose. En 1940-60, les « malades mentaux » sont exclus physiquement de la société, et déplacés hors de la cité. Ils ne vivent pas dans un lieu de soins mais dans un lieu d'hospitalisation carcéral avec des services médicaux minimaux. Ils ne peuvent être guéris. Également, ils sont considérés comme étrangers, différents des autres. Pour contrer cette double exclusion et réintégrer « les malades mentaux » dans la société, on modifie l'asile en un lieu de traitement grâce à un programme très structuré. On nomma cette expérience « communauté thérapeutique ».

 

 

 

Entre 1960 et 1970, même si « les malades mentaux » réintègrent physiquement la société, on continue à ne pas croire en leur rétablissement, surtout sans médication. Pour rompre avec cette conception qui est une manifestation d’exclusion, Laing et d'autres proposent au contraire qu'il est possible d'émerger de cet état si on en donne la possibilité à la personne affectée d’une psychose. Ils proposent d'accueillir cette dernière dans un lieu à taille réduite qui offre les conditions pour vivre un voyage à travers la folie.

 

 

 

En 1980, est répandue la conception que le « malade mental » est considéré comme « une maladie » et non comme une personne (Rapport Harnois, 1987), conception qui a pour conséquence que le potentiel de développement de la personne est nié par les soignants. Pour rompre avec cette forme d’exclusion et permettre que la personne puisse dire « je suis une personne pas une maladie », on conceptualise un programme dans lequel il est prévu que la personne puisse vivre dans un lieu à dimension familiale. Le programme prévoit que les personnes s'impliquent activement dans leur rétablissement, évoluent à leur rythme à l'aide d'interventions basées sur la psychothérapie, les rencontres de groupe et le soutien social.

 

 

 

Une autre manière de rompre avec cette conception d’exclusion est l’implantation des centres de crise Soteria. Pour que la personne en crise puisse émerger de la psychose à son rythme, le programme de ces centres mise sur le potentiel des personnes et non sur l’extinction de leurs symptômes (la maladie) par le recours aux médicaments.

 

 

 

Depuis 1990, les problématiques d’exclusion se perpétuent. Les communautés thérapeutiques existantes dites de quatrième génération continuent à combattre les diverses manifestations de l’exclusion en offrant des programmes qui, tout en s’inspirant des acquis des générations précédentes, intègrent les nouvelles connaissances en santé mentale.

 

  1. Le facteur humain

 

Quels facteurs peuvent expliquer l’émergence des communautés thérapeutiques? Un des facteurs est le facteur humain. À l’origine de chaque génération de communautés thérapeutiques, il y a mobilisation d’intervenants et/ou de citoyens pour changer les approches et les attitudes à l'égard des personnes vivant une psychose. Selon Winnicott, la source de cette mobilisation serait la sensibilité aux injustices qui découle de la tendance démocratique des intervenants et citoyens. Cette sensibilité serait accompagnée d’une autre, soit la prise de conscience par ces personnes des nouvelles valeurs dans l'environnement de leur époque.Par exemple durant les années 40-50, dominaient les valeurs de participation citoyenne, d’engagement mutuel, d’intérêt pour la communauté et de défense de la liberté. Durant les années 60-70, étaient prônées les valeurs de pacifisme, d'égalité des citoyens, etc. Cette sensibilité aux injustices et cette prise de conscience de nouvelles valeurs stimuleraient au changement.

 

 

 

Mais pour que les communautés thérapeutiques émergent, il faut plus que cela. Il faut aussi que les leaders possèdent des compétences pour analyser les situations, conceptualiser un programme, mobiliser les ressources humaines et financières, assumer la gestion, etc.

 

 

 

  1. L’intégration de diverses disciplines

 

L'élaboration des programmes est influencée par plusieurs facteurs dont les développements des sciences humaines et médicales. Par exemple, le programme de thérapie sociale de la première génération est fondé sur une synthèse des innovations en psychologie sociale, des études sociologiques sur les hôpitaux psychiatriques, et de la théorie des systèmes. Soteria Berne en est un autre exemple avec l'intégration des innovations en psychoéducation, en thérapie familiale, etc.

 

 

 

  1. L'évolutionet la durée de vie

 

L'évolution des communautés thérapeutiques se caractérise par l'expérimentation de nouveaux programmes, parfois en continuité les uns avec les autres (Kingsley Hall et Soteria) ou en rupture (communautés thérapeutiques hospitalières et les autres modèles). La continuité peut être celle des valeurs ou des modèles d'intervention. Les projets Soteria croient au potentiel réparateur de la personne et à l'accompagnement (being with) comme à Kingsley Hall. Cette continuité n'empêche pas qu'il y a eu modification dans les modèles.

 

 

 

La durée de vie des communautés thérapeutiques dépend aussi de divers facteurs. Par exemple, la durée de vie de la première génération des communautés thérapeutiques aurait été réduite par un désintérêt à son égard à cause des politiques de désinstitutionnalisation qui ont entraîné la fermeture de leurs lieux d’exercice (hôpitaux psychiatriques). Peuvent s'ajouter d'autres facteurs comme l'avènement des neuroleptiques, voire l'expérience de Kingsley Hall, les contraintes financières, les politiques en santé mentale en vigueur, etc.

 

 

 

 

 

D'un autre côté, la durée de vie peut dépendre des relations avec le milieu institutionnel. Par exemple, les expériences de Kingsley Hall et Soteria House de Californie n'ont pas dépassé 12 ans possiblement parce que Kingsley Hall était en rupture avec son milieu de même que Soteria House. Mais les communautés thérapeutiques de troisième et quatrième génération survivent en faisant souvent alliance avec le milieu institutionnel ou associatif privé. Soteria Berne n’est-elle pas devenue le plus petit hôpital de Suisse.

 

  1. Les dangers

 

Les communautés thérapeutiques sont soumises à des dangers internes et externes de destruction dans leurs relations avec l'environnement. L'un des dangers est la difficulté de s'y adapter. « Les communautés thérapeutiques portent souvent attention à leur environnement interne, au point d'ignorer qu’elles vivent en relation avec ce qui se passe à l’extérieur i.e. avec un monde dans lequel les attitudes sociales et les valeurs changent à large échelle » (adapté de Pedriali, 2008, 30). Convaincues d’être la seule alternative au système asilaire, certaines perdent de vue le contexte changeant dans lequel elles sont intégrées.

 

Un autre danger est le clivage. Dans certaines communautés thérapeutiques, il y a clivageentre elles (le monde interne) et l'environnement (le monde externe). Le monde interne, celui des communautés thérapeutiques, serait régi par de profonds principes, rempli de bonnes intentions, alors que le monde externe (l'environnement) serait rempli d’incompréhension, d’hostilité et d’intentions persécutrices. Ce clivage renforce la relation symbiotique entre la communauté et les patients qui ne veulent pas être confrontés à ces menaces potentielles. Le risque est que la communauté thérapeutique s’institutionnalise.

 

 

 

Un autre danger sont les contradictions potentielles entre les modalités d'intervention utilisées dans une communauté. Par exemple, si les volets réadaptation et traitement existent dans un même milieu, il peut y avoir conflit entre eux lors de la survenue d’un événement dans la communauté. Comment travailler cet événement? Choisir de le considérer en termes de traitement ou de réadaptation aura des effets différents.

 

 

 

  1. Laculture de la recherche

 

La recherche est présente depuis le début des communautés thérapeutiques. Les projets Soteria ont fait l’objet d’études évaluatives depuis leur création, le premier étant même un projet pilote financé par le National Institute of Mental Health (NIMH). Grâce à ces études, les promoteurs peuvent démontrer l'impact des projets.

 

 

 

Il y a aussi eu des recherches qualitatives comme la recherche réalisée par Rapoport (1974)sur l'expérience du Belmont Hospital au cours des années 50-60.

 

 

 

CONCLUSION

 

Depuis 60 ans, les communautés thérapeutiques constituent un mouvement social qui offre des réponses novatrices aux problématiques d’exclusion que vivent les personnes affectées par une psychose. Les projets constitutifs de ce mouvement ont deux caractéristiques fondamentales; 1) dans un lieu physique résidentiel, chacun d’eux développe les conditions pour qu’une expérience originale et unique, fondée sur des facteurs politiques, financiers, thérapeutiques liés à son contexte singulier, soit mise en place; 2) mais au-delà de ce caractère unique, chacun d’eux offre la possibilité de vivre une expérience de restructuration psychique et sociale susceptible de favoriser le rétablissement des personnes et leur inclusion sociale. Autrement dit, chaque communauté thérapeutique développe une intervention singulière qui expérimente l’expérience universelle qu’est la psychose.

 

 

 

Références

 

Cooper, D., 1970, Psychiatrie et antipsychiatrie, Seuil, Paris.

 

Fabre, J.P., 1978, Les communautés antipsychiatriques : une approche différente de la psychose, mémoire pour le certificat d’études spéciales de psychiatrie, Université de Bordeaux.

 

Laing, R.D.1968, Metanoia: Some Experiences at Kingsley Hall, Recherches, Paris, décembre.

 

Lecomte, Y., 1995, Fondements théoriques des communautés thérapeutiques pour psychotiques, Filigrane, vol. 5, no. 1, 95-106.

 

Lecomte, Y., 2013, L’évolution des communautés thérapeutiques in Lecomte, Y. et Maqueda, F., Actualité des communautés thérapeutiques, Érès, Toulouse, 7-39.

 

Mosher, L., 1999, Soteria and other alternatives to acute psychiatric hospitalization. A personal and professional review, The Journal of Nervous and Mental Disease, vol. 187, 142-149.

 

Pedriali, E., 2008, The decline and rediscovery of the therapeutic community in Gale et al., Therapeutic Communities for Psychosis, Routledge, London, 28-37.

 

Rapport Harnois, 1987, Pour un partenariat élargi, MSSS, Québec.

 

Sassolas, M., 1995, Les lieux de vie : lieux d’actualisation du scénario psychotique, Filigrane, vol. 5, 107-121.

 

1 Ph. D., directeur du DÉSS en santé mentale de la TÉLUQ.