Le marcheur et le passeur : l’expérience de différents dispositifs d’hébergement, entre les murs de l’hôpital et l’extérieur

Karine Nazir et Dr Isabelle Salmona

Karine Nazir Psychologue clinicienne, pôle psychosocial – département adulte de l’ASM13

Dr Isabelle Salmona Médecin psychiatre, médecin responsable des foyers post-cure Watteau et Gerville – département adulte de l’ASM13

 

 

Nous représentons une équipe de psychiatrie de secteur, nous travaillions auprès de patients au plus près de leur lieu de vie. Pourtant, nous allons vous parler de patient pour qui de nombreuses années de soins ont éloigné de la cité.

 

 

 

Nous nous inscrivons dans un travail au très long cours, engagé depuis de nombreuses années par les collègues qui nous ont précédés et ont permis que l’on puisse penser cet ailleurs, ils le décrivent dans l'ouvrage "Le besoin d'Asile".

 

 

 

Dans notre pratique, la communauté est liée à des lieux, des dispositifs de soins, aux trajectoires du patient et à l’organisation des équipes psychiatriques. En effet, notre structure s’est construit dans le contexte de la psychiatrie de secteur, comme, ce matin, nos collègues le Dr Bonnemaison et A. Toliou l’ont décris.

 

 

 

Notre génération et ces premières décades d’expériences continuent à traiter des trajectoires de ceux qualifiés dans notre établissement par Jacques Azoulay « les insortables » et de ceux décrit par Paul-Claude Racamier comme « patients psychotiques à évolution catastrophique ».

 

 

 

Nous allons vous amener sur le chemin fragile et chaotique de 3 patients à s’orienter vers des espaces où la temporalité des soins laisse aux soignants le temps de penser et d’imaginer le patient seul, et au patient celui de s’inscrire dans une histoire où on l’accompagne : une histoire avec les institutions (familiales, de soins et sociaux) afin de se réapproprier sa propre histoire.

 

 

 

Notre clinique concerne les moyens que nous pouvons mettre en place pour que le patient puisse s’éloigner en toute sécurité pour trouver un « chez soi ».

 

 

 

 

 

Ces patients sont :

 

  • ceux dont la psychopathologie est caractérisée par la persistance de certains traits.

  • Ceux dont les modalités relationnelles sont liées à un double danger : un lien qui aspire et qui vide ou au contraire celui d’une absence de lien qui fait éclater le monde interne.

  • Ceux nécessitant une certaine constance de l’effort thérapeutique, une certaine ténacité dans la durée, seule condition pour espérer déjouer les conséquences de leur destructivité, aussi bien au niveau de leur propre moi, qu’au niveau de leur environnement relationnel et matériel.

  • ceux qui séjournent depuis de nombreuses années et qui semblent investir l’hôpital comme leur lieu de vie nommé par J.C. Rouchy un lieu d’appartenance secondaire.

  • ceux ayants besoins d’un second temps après l’hospitalisation et pour qui il est nécessaire un prolongement leur séjour en milieu protégé.

 

 

 

Ils semblent appartenir à l’institution autant que celle-ci leur appartient. Il s’agit bien de ces patients décrit par Vassilis Kapsambelis qui luttent contre l’existence même du dipôle moi/objet. Ils attaquent tout lien car le lien signifie se séparer et se différencier. Nous pouvons regarder ces personnes comme des sujets naufragés, collés aux murs de l’hôpital, en exil, parfois sans domicile fixe car les liens avec l’extérieur se sont évaporés. Pour certains d’entre eux, ils se sont trouvés dans les services de la psychiatrie de secteur car contraint d’être hospitalisé, d’ailleurs les unités d’hospitalisation sont, dans ce contexte (la psychiatrie de secteur), obligées de les accueillir. La problématique d’inséparabilité décrite par V. Kapsambelis renvoie donc à la difficulté de penser l’extérieur ou à envisager un ailleurs autant du côté du patient que de celui des professionnels, ces derniers se trouvent dans une situation complexe entre investissement et séparation impossible. Ainsi, après de nombreuses années de refus et d’installation dans les soins, l’utilisation de nos dispositifs en intra ou en extra est destinée à faire évoluer la relation, à aider à réinvestir une vie relationnelle et sociale, à restaurer l’image de soi et à soutenir une élaboration du temps, ceux-ci visent 2 buts construire un univers interne moins menaçant et créer un éloignement des murs de l’institution psychiatrique à partir de la diversité de nos dispositifs. Comme le tout petit, le patient psychotique se colle à l’objet primaire et se confronte naturellement avec effrois et sollicitations du dehors, un objet à la fois étrange et commun.

 

 

 

DESCRIPTION DES DISPOSITIFS

 

 

 

Nous nommons le pôle psycho-social, des structures qui nous permettent d’accueillir une personne en perte de lien et de sens. Ces structures sont appelées « alternatives à l’hospitalisation » ou « structures intermédiaires », c’est à dire entre l’hôpital et la cité, afin d’accompagner le patient à retrouver la cité dans un milieu protégé ou prendre le temps de penser à lui et à lieu où vivre. Elles ont pris des formes multiples.

 

 

 

Pour se situer voici un plan topographique :

 

(Voir plan topographique - schéma à projeter à l’auditoire).

 

Le centre de soin ambulatoire où y travaille 7 équipes pluridisciplinaires, puis divers dispositifs en intra et en extra ceux-ci étant soit au cœur du 13ème arrondissement de Paris ou soient au cœur d’un parc de 6hectares, en dehors de la grande ville et à l’entrée d’un joli bourg boisé se trouvant au bord de Seine, le village de Soisy sur Seine à 40 km de Paris.

 

L’essentiel des structures se trouvant au cœur de la ville où les premiers signes de désorganisations psychiques, ce sont fait sentir et alors que d’autres se trouvant à une quarantaine de kilomètre de la Capitale, à la bordure d’un village calme et verdoyant.

 

 

 

Les unités du pôle psychosocial sont composées de :

 

  • 3 unités moyens séjours : le foyer Gerville de 21 places et le foyer Gravier de 26 places au sein de l’enceinte hospitalière l’Eau Vive et le foyer Watteau de 25 places au cœur du 13eme à proximité du centre de soin ambulatoire (CMP), la situation de ces trois foyers permettent de travailler l’approche de la cité dans des environnements différents. Deux foyers à proximité des unités d’hospitalisation et un autre plus proche du soin ambulatoire.

  • 4 appartements associatifs collectifs de 3 places au cœur de la ville de Corbeille Essonne à une vingtaine de kilomètre de l’hôpital de l’Eau Vive et 1 appartement en face de l’hôpital Eau Vive de 4 places.

  • 3 appartements associatifs collectifs à Paris dans le 13e de 3 places.

  • Un service d’accueil familial et thérapeutique de 21 places dont 17 foyers d’accueillants situé à un rayon de 30 km de l’hôpital Eau Vive

  • Et un partenariat avec une structure de résidence sociale.

 

 

 

Au fond, nous pouvons noter de cette organisation spatiale, le jeu de déplacement. D’ailleurs, les équipes s’appuient sur ces possibilités multiples distances géographiques, activités, médiations, entretiens, échanges pour accompagner le patient à reprendre contact avec l’extérieur, avec le socius et avec lui-même.

 

Comme par exemple proposer au patient de se rendre à l’atelier Tai Chi à 3m de l’unité et dans le parc, l’accompagner à aller au groupe psychothérapeutique à 4 m de l’unité, se rendre à sa séance de psychothérapie au CMP à une 40 km avec l’aide de l’estafette, ou bien aller chercher son argent de la semaine au pavillon administratif à l’entrée de l’hôpital.

 

Notre orientation est une approche psycho dynamique et psycho-éducative prenant en compte les mouvements transférentiels et contre-transférentiels. Le lien, entre ces différentes structures, est assuré grâce à des espaces de réflexions communs aux intervenants, à la création d’activités et aux espaces de pensées dans chacun des services nommés à l’instant. Aussi parce que certains d’entre nous exerçons parfois dans plusieurs d’entre-elles.

 

Ce travail en groupe permet de tolérer, accueillir, apprivoiser, voir et contenir les projections massives, la temporalité élastique, la répétition des actes et l’ambivalence de l’entourage et celle du patient psychotique ou ayant des fragilités narcissiques majeures.

 

 

 

Comment ainsi faciliter le passage, pour le patient en foyers, vers un peu plus d’autonomie? Que ce soit en appartement associatif, en foyer familial ou une autre institution pour envisager un travail de séparation avec l’institution psychiatrique. Cela est en quelque sorte un pari avec ces différentes passerelles, stratégies !

 

Complémentaires à l’hospitalisation, ce sont des lieux d’hébergements, à l’intérieur desquelles, nous observons 4 aspects :

 

  • les scènes de vie entre patients, entre patients et soignants et celles du patient,

  • les périodes de régressions du patient

  • la circulation du patient dans les espaces de vie en dedans et en dehors du lieu.

  • et les enjeux d’appartenances ou transactions interpersonnelles comme par exemple la rivalité fraternelle, la possession, l’exclusion, les actes et la jalousie.

 

 

 

CAS CLINIQUES

 

 

 

Nos dispositifs forment des « lieux d’hébergement psychique » nous dit Racamier. Dans un quotidien et un réseau de liens (soignants-patients, patients-patients, dedans-dehors) peuvent se mettre en scène des éléments qui révèlent ceux qui habitent la personne.

 

L’ensemble des membres de l’équipe (A.S.H., aides-soignants, infirmiers, cadre de service, assistante sociale, médecin, animateur, coordinateur, psychologue) regarde le patient et lui donne à voir son rapport à la réalité et aux autres. Nous pensons soutenir la différenciation moi – non moi et construire de l’intérieur une enveloppe (A. Ciccone) suffisamment bonne afin de permettre au patient de se repérer.

 

 

 

Notre hypothèse est qu’à partir de la dynamique groupale, des mouvements entre l’intérieur et l’extérieur des lieux alternatifs, nous pouvons avoir accès à la façon dont le sujet peut se représenter le lien, sa place dans un groupe d’appartenance et travailler une représentation d’un « chez soi ». Une des conditions pour que le sujet puisse se séparer avec un minimum de sécurité interne et être en dehors de nous (de l’équipe et des lieux, des murs…).

 

 

 

 

 

Nous allons faire une balade avec trois marcheurs :

 

  • Alice, nous amène sur le chemin des différents modes d'investissement, de créativité et de continuité des soins soutenant une amorce de différenciation et de séparation.

  • Jean Christophe lui questionne le chemin des professionnels dans leur volonté d’accrocher le patient aux fonctions d’hébergement alors que celui-ci annule ou attaque toute possibilité de soin.

  • Henri, lui, nous raconte de quelle façon le foyer, au cours de sa route, est l’escale nécessaire pour déposer ses mouvements de destructivités.

 

 

 

 

 

ALICE

 

 

 

Alice est âgée de 67 ans et elle est prise en charge en soin ambulatoire, à l’âge de 17 ans. Par la suite les hospitalisations sous contraintes, ont été systématiquement signées par sa sœur. Elle est décrite comme une patiente avec quelques ressources psychiques et s’organise plutôt sur un mode persécuteur dont l’objet est variable. De son histoire, nous pouvons souligner plusieurs périodes : une arrivée en France, à l’âge de 9 ans, suite à l’assassinat de son père en Algérie (un déracinement violent), le décès de sa mère, le mariage et le départ de sa sœur en Suisses, la perte de son unique enfant, la perte de son emploi et enfin son divorce. Les 34 premières années de soins sont marquées par de nombreuses hospitalisations, tentatives de fugues et de suicide. D’ailleurs, les équipes, lui, ont proposé, tout en maintenant l’accès à son domicile et un lien avec sa sœur, différents moyens psychothérapeutiques dont le psychodrame puis l’hôpital de jour. Pour Alice, ces premières années d’accompagnement aux soins furent comme celui du sujet en exil : nul part et ailleurs, passant d’un lieu à un autre par la rupture, l’arrachement, la disparition! Elle nous échappe !

 

C’est en 1998 que l’équipe de soins ambulatoire ne peut plus envisager le séquentiel ou le retour à son domicile tant les hospitalisations devenaient fréquentes. C’est ainsi qu’elle est orientée en foyer postcure psychiatrique puis à Gerville proche des unités d’hospitalisation sur le site de l’Eau Vive. A partir de là, les hospitalisations ne sont plus nécessaires et Alice se fait comme l’obligation, inconsciente, de ne jamais quitter l’ « HP » car elle imaginait, que pour sa sœur, sa vraie place était ici. Même si elle n’exprimait aucune haine vis-à-vis de celle-ci, des soignants et de son mari, ses idées délirantes laissaient à entendre la cruauté du lien. A l’âge requis, deux essais en maison de retraite échouent pour des difficultés de comportement mais nous pouvons aussi le mettre en rapport avec l’impossibilité de reconnaître le temps (son âge), un empêchement pouvant être également lié à l’introjection du pacte inconscient entre sœurs « ta place est ici » (un surmoi cruel fraternel). En 2007, la 43eme année de soins, Alice revient à Gerville, comme le mauvais enfant qui reviendrait à la maison! Un échec pour les soignants ! A son retour, elle réagit à chaque petit changement dont la présence des nouveaux dans l’équipe. Les thèmes récurant dans son discours sont la rivalité avec les autres femmes, la jalousie, la méchanceté, l’influence des autres sur le court de sa vie….C’est une patiente qui demande à être regardée, elle sollicite les soignants pour sa toilette et son quotidien, elle s’inscrit, après 8ans passée au foyer aux activités même si elle est assez méfiante. La répétition, la réassurance, la présence l’aident à se sentir progressivement en sécurité. Malgré tout à son retour (en 2007), l’ensemble de l’équipe soignante, médecin, assistante sociale a toujours en tête l’idée de la maison de retraite. Alors à mi-chemin des frontières entre trois réalités (celle d’Alice, de l’institution et de son âge), nous laissons la patiente nous guider où elle est capable de cheminer sans trop de crainte et de risque d’effondrement. Il s’agit de l’accompagner « entre un silence témoin et un étayage de la limite » (Soler, 1987, p.31).

 

Dans le foyer, Alice vient souvent dans le bureau des soignants, au R.C., comme pour se réfugier, déposer des mots puis elle se dérobe. Il fuse de sa mâchoire désarticulé tel Popeye, des mots sanglants laissant parfois l’interlocuteur (quand il en a un) oscillé entre rire et crainte. Elle commence souvent par la phrase suivante « Dites… alors, bien… Voilà... J’aurai quelque chose à vous dire" puis elle part sans en dire plus. Le « j’aurai quelque chose à vous dire » s’apparente au bagage qu’elle met entre elle et l’autre. C'est par ce même énoncé qu’elle m’aborde, je vais vous raconter quelques éléments de notre rencontre :

 

Assise devant le foyer, un matin, elle me dit « Dite... alors voilà… j’aurai quelque chose à vous dire, qu’est ce que ça veut dire gaie à ravir ? Puis elle repart aussitôt». Alors qu’elle me tourne le dos, je lui réponds « dans votre voix, c’est comme si gaie à ravir était une énigme » ; elle se retourne « ah ! Oui ! C’est ça…. Je vais trouver. Avez-vous lu le petit prince ? ». Son langage me semble être un véritable réservoir de combinaison possible. Elle m’attire et ma curiosité me permet d’aller vers elle. Il me vient plusieurs images et métaphores pour trouver comment avancer vers elle. C’est sûr, elle est de ces patients qui sont présents dans mes pensées et mes lectures ouvrant la notion de René Roussillon, l’identification narcissique, première étape du processus identificatoire du soignant au patient. Chacune de mes journées étaient introduites par ses mots, « vous connaissez le petit prince ? », « ils sont beaux les iris, n’est ce pas ? » ; « la scolarité, de 13 et 15 ans, il y a du vol, c’est toujours le cas ? ». (Dissociation). Alors, tout comme le plongeur, il s’agit, pour moi, de trouver, une fois dans la profondeur, sa position, sa stabilité et son équilibre. Mais pour ceux-ci, le plongeur s’aide du matériel qu’il possède avec lui, à la présence des autres et au sentiment d’appartenir à une équipe. Il peut ainsi voyager et explorer en toute sécurité cet univers familier qui en conserve une certaine étrangeté.

 

A Gerville, les différents axes de travail décrit par Anastasia Toliou, ce matin, lui offre les espaces suivants : son médecin psychiatre la reçoit avec quelques membres de l’équipe 3 fois par mois ; Sa sœur aînée mariée et domiciliée en Suisse lui donne un rendez-vous téléphonique hebdomadaire ; Les soignants, chaque matin, lui rendent visite dans sa chambre pour lui proposer de l’aide et elle eu une période des séances individuelles médiatisés avec la précédente psychothérapeute du foyer. Pas à pas, c'est sous le regard bienveillant institutionnel que je m’approche de ses bizarreries, de son désordre, de ses paradoxes et de sa dissociation.

 

Après trois semaines de notre premier contact, elle vient vers moi, l’air interrogative, pour me dire « vous n’avez pas peur ? ». Deux mois plus tard, un matin, elle reprendra mes propres mots et intonations « ah ! Bonjour, comment allez vous, avez-vous bien dormis ?". Ces imitations ou similitudes langagières sont comme des objets de rencontre pouvant peut être, médiatisé un rapprochement moins menaçant, «on se reconnaît ». Le mois suivant, elle me dira « j’ai pas peur ! ». Une affirmation frappante, touchante qui vient m'attraper. Comme le petit prince et le regard du renard, nous apprivoisons le lien.

 

Ces éléments avec Alice et mes observations des mouvements pulsionnelles liées à l’oralité dans le foyer ont donné forme à une idée de travail : créer un espace en groupe avec la médiation pâtisserie. Partant du présupposé qu’un espace groupal délimite un temps, un lieu, une action, j’ai mis en place avec mes collègues un groupe fermé qui vise les interactions au sein du service. Alice participa 2ans 1/2 à l’atelier (de 2010 à 2013) où avec d’autres est proposé de réaliser, le matin, un gâteau puis de le partager avec le collectif dans l’après-midi. Cet espace a certainement été un moyen supplémentaire d’investir quelque chose qui appartient à l’objet (l’institution) sans se sentir menacée. Les premiers mois n’ont pas été sans difficulté : comme aller la rechercher, lui montrer qu’on l’attend, qu’elle peut prendre le temps qu’il lui faut pour venir, qu’elle peut ne pas venir, qu’elle a sa place.. Durant 9mois, elle regarde de loin faire les autres, puis à une séance, elle me fait remarquer l’oubli d’un ingrédient. C’est au fur et à mesure qu’elle se rapproche de la table de travail pour par la suite prendre une autre place. D’ailleurs, à l’arrivée d’un nouveau, c’est elle qui l’accueillera, lui indiquera les règles. Aussi elle nous chantait des chansons de son temps, elle se rappelle de ceux qui sont partis, et elle se souvenait de recettes réalisées dans le groupe ou dans le passé pour son mari… Le temps prend une forme ! L élément marquant lors de la 1ere et 2nd année à l’atelier, elle fait la demande aux conductrices du dispositif d’aller manger ensemble au restaurant du village. Alice n’était jamais sortie en 13 ans pour aller passer du temps avec d’autres dans un endroit où se restaurer. L’accès au dehors se fait en compagnie des figures connues.

 

En 2012, nous sommes à la 14eme année en foyer, sa sœur décède. Les entretiens médicaux prennent une autre couleur car elle est triste, parle de sa sœur, des appels « ritualisés » et des raisons l’ayant empêché durant toutes ces années, de lui rendre visite en Suisse. A côté dans l’atelier, elle poursuit avec régularité et raconte des histoires du passée. Lors d’un entretien médical à la même période, mon collègue nous rapporte sa question alors qu’il ré-aborde la maison de retraite « mais comment ça se fait que je sois âgée ? ». Une interrogation du temps et d’une historicité s’est installée et elle peut enfin se voir et avoir un âge! D’ailleurs, quelques mois auparavant, dans le bureau des soignants alors qu’elle entend une psychologue stagiaire préparer sa fin de stage, elle nous dit : « moi aussi un jour, je vais partir». Aujourd’hui, elle se trouve en maison de retraite avec la condition de voir son médecin de secteur (même psychiatre du foyer) une fois par trimestre au CMP à 30 km de son nouveau lieu d’habitation. Nous savons qu’Alice se porte bien et continue à profiter d’activité dans sa nouvelle demeure. Elle a récemment demandé à récupérer sa télévision dans la cave de Gerville. Après avoir expérimentée ce nouveau lieu pendant un an, elle peut venir chercher ses affaires pour habiter un nouveau chez elle.

 

Cette route de 49années est longue ! Ce sont les kilomètres de temps, de constance, de créativité, de ténacité ! Le foyer est un lieu où le patient peut prendre le temps pour assimiler le changement, les ruptures, les attaques, la haine, la rencontre, une histoire. Ceci dit être plusieurs au côté du patient, comme nous l’a aussi appris Winnicott signifie survivre à sa destructivité afin de lui offrir les conditions d’une unification nécessaire pour se différencier et se séparer.

 

 

 

JEAN CHRISTOPHE

 

 

 

Jean-Christophe a 36 ans et vit au foyer de Gerville depuis 2012. Son histoire avec la psychiatrie commence en 1997. On retient de son parcours dès l’âge de 8 ans de nombreuses périodes d’errance et de rupture avec son foyer familial. Il a dès l’âge de 20 ans vagabondé entre petit boulot, hôtel social, la rue et hospitalisations en HO. Sa mère vit en Guadeloupe et son père en Métropole. Son père refusant tout contact avec son fils a refait sa vie et a deux autres enfants. . Son parcours psychiatrique débute à l’âge de 18 ans par une hospitalisation, suivi de nombreuses autres. Dans les moments aigus, il offre une apparence de grande fragilité, parle peu, et marque ceux qui le rencontrent par de très nombreuses stéréotypies gestuelles. Au bout de plusieurs années, il a brièvement intégré une chambre dans une résidence sociale mais ne tardera pas à fuir cette dernière après avoir été impliqué dans un vol de scooter, convaincu d’être dorénavant recherché par des individus qui chercheraient à lui « faire la peau ». A l’issus de cet épisode, en accord avec son psychiatre de secteur qui est également médecin directeur du foyer Gerville, une nouvelle hospitalisation suivie d’une prise en charge au foyer est décidée.

 

Le foyer est pensé comme une mise à l’abri vis-à-vis des menaces extérieures et des liens intra-familiaux bousculés voir absents. 3 ans après, Jean-Christophe semble aller « bien ». Son discours est organisé, sans idées délirantes, sans plus de bizarrerie ni de stéréotypies. Le médecin qui l’a accueilli à Gerville envisage alors de poursuivre sa prise en charge au foyer Watteau, situé dans Paris (donc un retour vers la terre première). C’est dans ce contexte que je le reçois alors que je ne l’ai pas revu depuis mon internat. Je suis impressionnée par le changement qui s’est opéré en lui. Sa demande ressemble à celle de bien des patients que je reçois : souhait de se rapprocher de Paris, d’y reprendre un travail, puis d’y avoir un chez lui. Je lui propose donc ce que nous nommons un séjour d’essai, à savoir 3 semaines au foyer Watteau. Ces trois semaines s’avèrerons décevante tant pour l’équipe, qui trouve Jean-Christophe « absent » et peu motivé par les propositions de soin qui lui sont faites, que pour Jean-Christophe lui-même, qui nous dira finalement qu’il craint, en revenant à Paris, de retomber dans la toxicomanie et dans ses errances anciennes. Il rentre donc au foyer de Gerville. Depuis sa première entrée, le médecin a changé dans ce foyer, et c’est donc à un autre collègue que je transmets le résultat de ce séjour, selon lequel ce séjour semble peu adapté. Mon collègue acquiesce et c’est donc avec surprise, quelques mois ayant passé, que je le vois revenir vers moi me disant « ah, et au fait, Jean-Christophe, on avait bien dit qu’il allait à Watteau, hein ? Quand est-ce que tu penses pouvoir le prendre ? ». Je réexplique de nouveau ma position et celle de l’équipe, qui me semble dictée de manière évidente par les observations réalisées pendant le séjour d’essai. Quelques mois plus tard, nouveau changement : je suis amenée à m’occuper moi-même du foyer de Gerville. J’ai donc l’occasion d’observer Jean-Christophe « dans les murs ». On le voit dans le parc à faire des va-et-vient. Il semble coller aux murs de l’institution avec la spécificité de plutôt les effleurer. Le site semble être un lieu d’appartenance empêchant d’investir un autre lieu : à l’abri, protégé et gardé dans l’enceinte de l’Eau Vive. Alors que ses deux activités principales sont celle de faire des courses pour les autres patients (ce qui est interdit) et de jouer de la guitare dans sa chambre. Lorsqu’on écoute sa demande, il nous fait part également de ce désir d’ailleurs. Toutefois, celui-ci lui semble remarquablement peu consistant. Un jour, je l’invite à imaginer, et à me faire part de son « lieu idéal ». Ce devoir restera lettre morte nous permettant alors de nous rendre compte de la difficulté pour lui de se représenter un lieu comme « chez lui ». Nous envisageons pour lui plusieurs « solutions », dont celle d’un appartement. Celle-ci sera retardée, plusieurs soignants émettant la crainte que l’environnement du dit appartement le conduise à re-consommer des substances. Jean-Christophe continue donc ces allez et retours dans le parc lorsque je dois m’absenter quelques mois du service. Et de nouveau, au détour d’une conversation avec ma collègue, j’entends revenir une interrogation désormais bien connue : « ah, et Jean-Christophe, on en es ou, de l’accueil à Watteau ? ».

 

La répétition de ces situations institutionnelles met en acte le fait que le seul lieu possible pour ce patient semble être : « ailleurs » ! Or, cet ailleurs, Christophe semble le réclamer aussi, mais nous ne parvenons pas, nous et lui, à l’imaginer. Notre capacité d’imagination est  en berne. (Miroir)

 

On peut penser que pour Jean-Christophe, un malentendu s’est glissé dans le pacte initialement passé avec nous. Sa demande, validée par son médecin de l’époque, était de trouver un refuge. L’effet thérapeutique a bien eu lieu. Toutefois, nous avons vu dans sa présence, une invitation à poursuivre notre travail habituel, à l’accompagner à aller de l’avant même. Les soignants peuvent penser l’extérieur comme pour le mettre à l’écart en écho à sa propre histoire familiale. JC a dès l’âge de 8ans connu divers lieux de placements. C’est à ce moment-là que nous nous sommes heurtés à ses défenses, ce qui a suscité chez nous inhibition, puis rejet. Or, ce que révèle son attitude, c’est sa difficulté extrême à investir un lieu, qu’il soit d’hébergement ou de soin. De notre côté, rassurée de le savoir à l’abri, notre vigilance a ensuite été endormie et notre passivité a rencontré sa psychopathologie, dont nous pouvons faire l’hypothèse qu’elle a été modelée par de premiers investissements, au sein de son groupe familial, trop fragiles pour être « sécure ». Nous pouvons penser que la dimension de l’habitat comme représentation du groupe familiale n’existe pas chez Jean-Christophe.

 

Si nous avons choisi de vous présenter cette situation, c’est parce qu’elle nous paraît mettre en évidence plusieurs points importants :

 

-d’une part, du point de vue de la dynamique institutionnelle : la mécanique que nous vous avons décrite au début de cette intervention et qui permet l’articulation de nos différents dispositifs n’est pas figée : elle nécessite en permanence d’être réinterroger, repensée et redynamisée en fonction de nos patients.

 

 

 

HENRI

 

 

 

Henri est rentré en 2004 au foyer post-cure Gerville. Je vais vous présenter tout d’abord quelques éléments de son histoire familiale afin de les mettre en lumière dans son rapport au foyer.

 

Henri est âgé de 38 ans, né au Gabon d’un père béninois et d’une mère togolaise. L’union du couple étant rejetée par le groupe familial maternel lié à une différence de classe sociale, ils s’expatrient au Gabon. Il a une sœur aînée et tous deux sont accueillis chez leurs grands parents paternels en raison du contexte professionnel du couple. La première langue d’Henri n’est pas le français mais la langue africaine de ses grands-parents. Le grand père serait décédé devant ses petits-enfants et c’est à ce moment que le couple et la fratrie se réinstallent ensemble. La famille d’Henri arrive en France lorsqu’il avait 3ans. C’est à ces 9ans que le couple parental se sépare. Il vit, alors, avec sa mère et sa sœur. Mais la mère d’Henri a été expulsée de son logement du fait des troubles du comportement de son fils et aussi à cause de dettes de loyers. Elle part ainsi vivre chez l’une de ces sœurs, dans la ville voisine de celle où se situe l’hôpital de l’Eau Vive. Sa sœur quitte le domicile familial à l’âge de 16 ans. Elle est mariée et à deux enfants, jusqu’en 2009 elle ne souhaitait pas de contact avec son frère. Leur père est décédé en 2008, il était historien. Un père avec qui Henri avait des contacts et a des souvenirs.

 

En effet, Henri commence à présenter des troubles du comportement avec prise de cannabis dès l’âge de 11 ans. Il a été hospitalisé plusieurs fois depuis ces 16 ans du fait des violences envers sa mère, des détériorations matériels dans l’appartement et des recrudescences d’idées délirantes avec persécution. Dans son parcours de soin, au vue des actes de destructivité et de la perte du logement, on lui propose un premier essai d’éloignement du foyer familial via un séjour au foyer Watteau mais il en a été expulsé pour troubles du comportement. Il a été pensé alors par les équipes de soins ambulatoires et de Watteau, une orientation vers Gerville, foyer dans l’enceinte du centre hospitalier et résidentiel Eau Vive à proximité des unités d’hospitalisation afin de penser un lieu contenant et éloigner des objets d’excitations (sa mère, la ville, le trafic, la délinquance).

 

 

 

 

 

Les six premiers mois au sein du foyer Gerville, Henri recrée la façon dont il vivait chez sa mère. Il restait isolé dans sa chambre, la porte fermée, dans le noir et fuyant le contact avec les soignants ; Il refusait les repas. Il sortait et mangeait lors des visites journalières de sa mère. Il était assez opposant et revendicateur pour son traitement et ne demandait qu’à repartir à Paris ou à retourner en hospitalisation. D’ailleurs, il effraie l’équipe qui pouvait craindre un passage à l’acte violent, car son physique et son regard pouvaient les faire fuir. On doute même de la pertinence de son accueil en foyer.

 

 

 

Ainsi comment peuvent devenir un outil thérapeutique, les répétitions d’Henri au sein du foyer ?

 

C’est à la suite, de plusieurs temps d’échanges, de réunions que l’équipe a pu imaginer un cadre de soins comprenant des entretiens individuels et familiaux, ainsi qu’une régulation des visites de sa mère et une proposition d’activités. Celles-ci sont mis en place non sans difficultés et nécessitent persévérance.

 

Malgré tout, Henri trouve sa place, il passe de moins en moins ses journées dans sa chambre à communiquer avec ses voix, il accepte de participer aux activités et mange à la cafétéria avec tout le monde. Il voit sa mère une fois par semaine et semble moins angoissé par la suite. Le dépassement des peurs, la présence, et l’investissement progressif de l’équipe vont favoriser la création d’un lien afin d’introduire une certaine objectalité à la relation. Alors que son histoire familiale a été très tôt marquée par les déracinements, les déplacements, l’exclusion et la rupture. L’équipe est très attentive à créer des espaces de soin intermédiaire afin que l’institution ne devienne pas un objet total où le lien serait soit aliénant soit enfermant.

 

Les entretiens familiaux sont donc l’occasion d’entendre des traces de l’histoire familiale, de différencier les espaces de madame et Henri, de dégager Henri d’être seul et unique dans la relation avec sa mère ; L’espace de psychothérapie individuelle permet de venir dire, raconter, agir en verbalisant les vécus de la relation duelle ; une chambre et des endroits collectifs pour voir les autres existant dans le nouvel environnement. Petit à petits ces différents espaces à l’intérieur du service participe à créer un espace propre au patient distinct de celui de la tour d’ivoire maternelle.

 

Lors de sa deuxième année au foyer, Equipe et patient peuvent envisager un petit déplacement en dehors des murs de l’hôpital, vers l’atelier thérapeutique au sein du 13eme, pour commencer à sortir dans la ville, à avoir une activité qui lui rapporte un pécule, une autonomie. Cela en co-commitence à sa demande d’une reprise d’un suivi au centre de soin ambulatoire (le CMP) et à sa participation aux activités comme la randonnée, permettant aux soignants de se rapprocher de lui avec moins de craintes et ainsi d’avoir en tête l’extérieur (un projet). Il dit avoir 3 psy : un psychiatre traitant à Paris au CMP pour son traitement, un psychiatre soignant à l’unité de Gerville qui l’écoute et le reçoit avec sa mère, la psychologue un espace que pour lui. Voilà, c’est un vécu de néant qui me semble, commence à avoir des bords auxquels se tenir!

 

 

 

Lors de sa troisième année, âge de l’affirmation !, le médecin du foyer veut tenter l’appartement associatif même si son autonomie n’est pas tout à fait certaine, les soignants rappellent qu’il faut aller le voir dans sa chambre pour l’aider à ranger, à faire le ménage et le trie par exemple et il a très souvent des jouets de petit enfant dans sa chambre. Voici, un pari ! Pour faire exister l’environnement autour de lui. Henri fait pas à pas son premier essai en appartement associatif proche du foyer afin de maintenir une distance suffisante avec l’équipe. Ceci bien entendu en maintenant l’ensemble des espaces de soins cités jusque-là, situé au foyer et au CMP.

 

A ce moment là, l’équipe peut envisager l’appartement associatif comme un soutien au processus d’individuation et de son identité. Henri ne ménagea pas ses forces pour salir et mettre le désordre dans sa chambre mais ce sera mis en sens par l’équipe comme des actes pour passer le voir et ainsi vérifier la solidité du lien. Et/ou susciter l’attention des colocataires et voir comment on vit à 3 dans une maison.

 

 

 

Que se passe-t-il lorsque nous posons une indication d’appartement?

 

C’est le moment de passer finalement d’une collectivité importante à un groupe restreint. Dans cet espace, éviter l’autre devient impossible et l’on se confronte immanquablement aux exigences de l’altérité. Pour, nous, l’appartement s’envisage dans la continuité des soins parce que tout d’abord le séjour au foyer a permis une réduction symptomatique suffisante, le foyer reste son lieu de soins, le lien semble suffisamment instaurée avec l’équipe, puis il montre une tolérance à la présence des autres, et pour finir parce qu’une autonomie à son traitement est observée.

 

 

 

Qu’est ce qui va alors assurer le sentiment de continuité?

 

Il nous semble que la relation avec l’équipe tissée lors du passage au foyer est alors un point essentiel. En effet, c’est lors de ce passage que se crée la relation permettant pour le patient de pouvoir ultérieurement tolérer l’absence de l’équipe. C’est également ce qui permet à l’équipe de se rassurer sur l’absence du résident, d’acquérir la confiance nécessaire dans l’élaboration du projet.

 

 

 

Un an après ce temps en appartement, Henri revient 4 jours au foyer car la vie dans l’appartement devient difficile. Sa chambre est en désordre, son alimentation anarchique et il détruit en taguant les murs de sa chambre. A cette même période Mme (sa mère) avait annulée les entretiens familiaux et l’équipe ne l’avait pas vu depuis bien deux mois. C’est d’ailleurs au détour de la reprise des entretiens familiaux qu’Henri apprit le décès de son père ceux six mois après ; par la suite Henri s’enfuit et c’est la psychiatrie italienne qui le rapatrie à Gerville. A son retour au foyer, nous sommes en 2009, le suivi individuel psychothérapeutique reprend et se poursuit à présent au CMP, les entretiens familiaux sont remis en place au foyer et les rdv avec son psy traitant au CMP également. Le dispositif se redessine et il est bien présent !

 

Pendant cette année 2009 où tout projet avait été mis en sommeil, le médecin du foyer imagine le dispositif d’accueil familial pour l’orienter vers un espace groupal en dehors du regard soignant et de passer de nouveau par l’expérience de la contenance dans un foyer apportant des règles et un regard permanant. Moyen de garder en tête l’extérieur, un projet et de pas se laisser prendre dans le système défensif du patient (enfermement, exclusion, attaque). Curieusement, au même moment, sa sœur prend contact avec lui et Henri fait la connaissance de ses nièces et participe à plusieurs fêtes de famille. Ce projet ci ne verra pas le jour, car la famille d’origine transformée se retrouve.

 

 

 

 

 

 

 

Au vue de ces idées dans le travail avec Henri : espace groupal, le lien à l’autre, famille, lieu d’accrochage pour se séparer, je lui ai fait la proposition d’un groupe psychothérapeutique auquel il participa durant 2ans1/2, voici une quatrième psy, dit il « pour savoir comment rencontrer les autres ». Le groupe psychothérapeutique est un autre espace permettant l’élaboration du lien et de la groupalité interne au sens de Kaës. Etre en foyer ou en appartement plonge le patient à être avec l’autre avec tous les obstacles et conflits qu’impliquent l’entrée dans un groupe nouveau : crainte de perdre son identité, de l’effondrement, de disparaître… L’espace d’un groupe psychothérapeutique peut être donc l’occasion de faire l’expérience avec d’autres de voir comment je fonctionne avec l’altérité. Il était le plus jeune des participants, il a approché avec beaucoup d’inquiétude le groupe : retard, absence… il venait les premiers séances, premiers mois, accompagner d’un objet (des lunettes, un cartable, un téléphone, une boussole…), il parlait avec crainte du jugement des autres puis il est rentré en conflit avec d’autres, s’est affirmé, s’est confrontés aux incompréhensions, aux différences intergénérationnelles, il fit des liens entre la psychothérapie individuelle et le groupe, la différence entre les thérapeutes, il a partagé son histoire de soins, ses compréhensions sur la vie…

 

En parallèle à cette nouvelle proposition de travail psychique, il réintègre un nouvel appartement, nous sommes en 2011, poursuit l’ensemble des offres de soins au CMP et les activités au foyer. C’est après le passage durant 2ans à traverser des nouveautés (changer de lieu de vie), retrouver sa famille, le départ de son médecin de secteur qu’il décida d’arrêter le groupe psychothérapeutique en prenant le temps nécessaire pour élaborer sa sortie.

 

 

 

On peut, peut être, supposer que le groupe a pu être à ce moment là un lieu d’étayage complémentaire et intermédiaire pour penser les différentes fissures de son trajet et de ses voyages ( Gabon, Paris, Italie, Hôpitaux, Foyers, Appartements, CMP….).

 

 

 

De son côté, l’appartement est un petit groupe où un réseau de liens qui se crée, il y a d’ailleurs une amie (Isabelle), sa colocataire qui le soutien à s’organiser dans la maison tout comme une maman, elle lui montre comment faire des courses et lui rapelle de faire la vaisselle. Ceci même si régulièrement, il casse, détruit le sommier de son lit et son armoire, ne fait pas le ménage, et ne dort pas la nuit dans l’appartement pour aller faire du vélo soit à 4 roues ou à deux roues sur le grand parking du supermarché.

 

L’appartement produit une histoire, une remise en route des alliances intersubjectives et inconscientes (Kaës). Il s’agit pour l’équipe de regarder la colocation comme un groupe avec son propre réseau de liens car chacun vient déposer sa propre groupalité (Kaês) au sein de la colocation.

 

Aujourd’hui Henri nous montre comme il se confronte à la différence et de quelle façon les soignants peuvent continuer à exister en dehors de leur présence physique.

 

Durant ces 27années, la garantie du dispositif comme lieu d’hébergement permanent et protecteur, le jeu des allers-retours et les voyages pour élaborer son histoire singulière forment comme un réseau de soin le bordant et lui fabricant une enveloppe suffisamment sécure pour trouver un chez lui. Durant ces 9années en foyer, Henri a très peu connu l’hospitalisation (uniquement lors de son voyage en Italie et lors de son retour). Le foyer pourrait être comme une sorte d’interface permettant à Henri d’être recueillit, accueillit, porté, - conditions pour trouver un sentiment d’existence.

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

 

Voici 49 ans, 6ans et 27ans! sont de nombreuses années pour accompagner nos trois marcheurs à devenir un peu moins dépendants alors que la relation est sous le saut de l’hyper-investissement, du désinvestissement et de la destructivité.

 

Nous avons démontré le travail de guidance pour réhabiliter le sujet dans son rapport à son corps, aux autres et à son environnement afin d’élaborer progressivement sa dépendance aux murs de l’hôpital. Les espaces intermédiaires entre le dedans et le dehors, dont nous vous avons parlés, seraient comme des béquilles. Elles aident à retrouver la mécanique de la marche, à être avec le socius et en même temps elles peuvent ralentir les déplacements.

 

Certes ces déplacements peuvent au premier abord paraître un choix arbitraire entre équipes, équipe et patient mais notre sentiment est pourtant qu’il révèle une évolution importante de la relation thérapeutique et pour le patient de l’investissement de ses objets internes.

 

 

 

Nous pouvons aussi souligner les différentes façons de regarder le patient, la durée des trajectoires, le jeu des distances et l’intérêt de s’appuyer sur les enjeux groupaux. Nous avons, face à certains patients, le sentiment, l’intuition, qu’ils vont s’adapter au dispositif. Nous les imaginons parfois dans tel ou tel appartement. Parfois également, nous ressentons des craintes, une inquiétude qui nous décale par rapport à nos préoccupations de soignant. Les représentations que nous nous faisons des lieux en tant que soignant sont emprunts certainement de nos propres représentations des fonctions d’un habitat. L’ensemble de ces représentations sont des outils pour soutenir la constance au sein de l’équipe. Ainsi, nos intuitions se cachent probablement la représentation inconsciente que nous nous faisons des groupes d’appartenance du patient, ces derniers résonnant fortement avec nos propres appartenances et représentations institutionnelles.

 

 

 

Notre approche psycho-dynamique et psycho-éducative nous amènent à circuler au quotidien avec les intrications individu, groupe et espace. Nous pouvons considérer notre travail institutionnel comme l’offre de supports identificatoires multiples reposant sur nos propres représentations afin d’investir un monde interne, condition, n’est-ce pas pour percevoir et se représenter l’environnement extérieur. Nous pensons ainsi que dans les espaces pluriels au sein même d’un dispositif, le patient retrouve quelque chose de son rapport à son groupe d’appartenance primaire (environnement de vie premier), une occasion de revisiter ou de regarder les failles pour traverser les creux d’une histoire familiale souvent chaotiques, silencieuse et déchirante.