Une approche multimodale pour aider les personnes psychotiques qui entendent des voix

Myreille St-Onge

psychologue, Ph.D., professeure titulaire, École de service social, Université Laval, Québec, Canada.

Présentation power point


 

« Il y a une ressemblance remarquable entre la façon que les dieux parlent dans l’Iliade [d’Homère] et l’expérience que plusieurs d’entre nous ont d’entendre des voix. Elles conversent, menacent, jurent, critiquent, consultent, réconfortent, [se moquent], commandent, prédisent. Elles crient, gémissent et ricanent. Elles peuvent venir de nulle part, d’un simple chuchotement à un hurlement. Parfois elles [parlent] vraiment lentement ou de façon rythmique. Dans l’Iliade, on obéissait toujours aux voix [des dieux]. De la même manière, plusieurs d’entre nous obéissent à leurs voix […] »

 

Patsy Hage (1993, p. 196), traitant du livre du psychologue étatsunien Julian Jaynes (1976). Ma traduction2.

 

 

 

Cette citation de Patsy Hage nous invite à nous intéresser aux diverses fonctions des voix et tabler plus particulièrement sur les fonctions positives pour s’engager avec elles et accepter l’expérience d’entendre des voix (Coleman et Smith, 1997, 2007, Romme et Escher, 1993). Patsy Hage a été la « bougie d’allumage » des travaux pionniers de l’équipe du psychiatre social Marius Romme de l’Université Limburg à Maastrich sur l’importance de comprendre le modèle explicatif auquel les personnes adhèrent [pour Patsy c’est la théorie sur l’origine de la conscience de Jaynes) et ainsi partir de ce modèle explicatif pour comprendre le sens et la signification profonde de leur expérience (Hearing Voices Network, Intervoice, Romme & Escher, 1989). En accueillant cette théorie par un partage ouvert avec sa cliente, Patsy Hage, le psychiatre Romme a pu constater l’amélioration de leur relation. C’est à la suite de cet échange ouvert qu’il a décidé d’organiser des rencontres avec elle et d’autres personnes qui entendent des voix. Il a été frappé par la facilité avec laquelle ces personnes communiquaient entre elles et se comprenaient (Downs, 2001). C’est à ce moment qu’il a constaté « un énorme vide d’impuissance. Dans [sa] pratique, aucun des patients n’était capable de composer avec ses voix » (Downs, 2001, p. 3, dans Soucy et St-Onge, 2012). C’est à ce moment que Romme et Escher comprirent que pour aider les personnes qui ont de la difficulté à composer avec leurs voix, ils devaient connaitre l’expérience de celles qui y parviennent.

 

À la suite de ces constats, Romme, Escher et son équipe (Honig, Romme, Ensink et al, 1998, Romme, Honig, Noorthoorn et Escher, 1992) ont débuté des études comparatives sur l’expérience de personnes ayant un vécu psychiatrique et des personnes n’ayant pas ce vécu pour évaluer les stratégies d’adaptation aux voix. Les résultats de ces études ont montré que les personnes qui n’ont pas d’histoire psychiatrique ont plus tendance à accueillir leurs voix et à s’engager avec elles et réussissent mieux à s’adapter à leurs voix. Vingt personnes ayant participé à l’une de leurs premières recherches (Romme & Escher, 1989) ont été les conférencières invitées au premier congrès dont l’auditoire était exclusivement composé d’entendeurs de voix (EV) qui a eu lieu le 13 octobre 1987 en Hollande (St-Onge & Soucy, 2012, p. 73).

 

Dans la foulée de ces travaux, on assiste au développement d’un vaste mouvement international (voir www.intervoiceonline.org) et de réseaux d’entraide pour les personnes qui entendent des voix. En Angleterre, le premier groupe d’EV a été créé à Manchester en 1988. À ce jour, plus de 180 groupes d’entraide ont été créés exclusivement pour les EV dans ce pays (Soucy & St-Onge, 2012). En 2010, toujours en Angleterre, un tel réseau a été créé pour les jeunes (voir Waddingham, 2010).

 

L’approche cognitive et l’intervention précoce

 

Les questions que soulèvent ces constats : est-ce que l’on demande aux personnes psychotiques vues en consultation la théorie à laquelle elles adhèrent concernant leurs voix? Est-ce que l’on s’informe sur cette théorie si on ne la connait pas, à l’instar des psychiatres britanniques Kingdon et Turkington (2005) tels des « devoirs à la maison »? Dans quelle mesure tenons-nous compte du savoir expérientiel des personnes directement concernées par ce phénomène dans nos recherches et nos interventions pour comprendre la signification de ces « symptômes »? Dans quelle mesure adhérons-nous à un modèle sur la continuité de l’expérience pour comprendre l’origine des voix?

 

Plusieurs auteurs ont fait ressortir que les personnes entendant des voix avaient expérimenté un événement traumatique dans leur enfance ou leur adolescence (Cameron & McGowan, 2013, Escher, 2012, Hardy, Fowler, Freeman et al, 2005, Romme & Escher, 1989, 1993). D’ailleurs les psychiatres Kingdon et Turkington, dans leur conceptualisation de sous-groupes cliniques de la psychose dont la psychose traumatique ont montré ces liens. En effet dans la psychose traumatique, on constate une association avec un état de stress post-traumatique (ESTP), en particulier l’abus sexuel et parfois un chevauchement avec le trouble de personnalité limite. Les personnes correspondant à ce sous-groupe clinique ont des hallucinations auditives (HA) abusives, violentes ou avec un contenu sexuel (souvent la voix de l’abuseur), ces voix leur parlent à la deuxième personne (« tu es un salaud », « si tu le racontes je vais te tuer »), ont des voix qui donnent des ordres : « tue-toi », « tue ton enfant »3. Ces HA sont expérimentées comme choquantes et étrangères à la personne, sont répétitives et conduisent à une détresse importante (Kingdon & Turkington, 2005, p. 16). Ces psychiatres recommandent que l’on identifie tout d’abord en intervention les événements pertinents reliés au trauma même si plusieurs années se sont écoulées depuis ce trauma. Ils suggèrent également d’être attentifs à l’évolution de la condition de la personne, car il est possible qu’elle ait reçu dans un premier temps un diagnostic de trouble de personnalité limite, de phobie sociale ou encore de trouble obsessionnel-compulsif. Pour eux, une réattribution des HA dans une perspective de continuité de l’expérience est centrale au succès de l’intervention. Il est important de travailler sur le pouvoir et la véracité des voix en discutant des croyances et des attitudes des personnes par rapport à leurs voix.

 

Selon ces auteurs, l’élément clé est de travailler avec le modèle explicatif de la personne en premier(ex: télépathique, surnaturel, médical, philosophique, etc.) pour une investigation en étroite collaboration et un « voyage de découvertes » basé sur un empirisme scientifique. La raison est fort simple : il s’agit selon eux de la meilleure façon d’expliquer et de comprendre les sentiments et les idées « bizarres » que les personnes expérimentent. Ainsi, contrairement à la thérapie cognitivo-comportementale où l’on incite les personnes aidées à faire des « devoirs » en dehors des heures de consultation, la plupart du temps ce sont eux, les thérapeutes, qui font des « devoirs » comme s’informer sur des théories qui leur sont inconnues ou encore, lire la création littéraire des personnes auprès desquelles ils interviennent. Ce n’est qu’une fois qu’une relation de confiance est établie, que les liens entre les voix et les théories explicatives des personnes sont compris par les thérapeutes, qu’ils peuvent débuter une remise en question socratique du pouvoir des voix et de leur véracité, sans collusion ni confrontation et au rythme de la personne.

 

L’acceptation de l’expérience : l’accueil de l’expérience pour apprendre à s’en distancier et à s’engager dans une voie porteuse de sens

 

Après avoir connu une période faste de « misérabilisme psychologique » (Cyrulnik, 2012, p. 8), où rien de bon ne semblait transpirer de l’expérience de la « symptomatologie », on assiste aujourd’hui à un retour du balancier où plusieurs théories et approches convergent vers ce rôle central de l’acceptation de l’expérience pour s’en distancier, mais surtout pour s’engager dans une voie porteuse de sens et d’apprentissage sur soi.

 

Par contre, encore trop souvent de nos jours, les interventions que l’on offre aux personnes qui entendent des voix dérangeantes sont axées sur la tentation de les supprimer malgré tout ce que l’on sait sur les processus mentaux « ironiques » (Allen, 2001) qui font que les tentatives de suppression augmentent l’intensité et la fréquence des voix. Ou encore basées sur la fausse croyance que l’on entre en collusion avec les voix lorsqu’on en parle avec les personnes, ce qu’il faudrait éviter à tout prix. Ou encore que seuls les psychiatres sont habilités à « traiter » ces « symptômes ».

 

Par exemple, la théorie jungienne de l’anima (ou l’âme) nous enseigne à ne pas prendre les contenus des voix (inconscients) au pied de la lettre car « c’est toujours le conscient qui reste décisif, le conscient qui doit comprendre les manifestations de l’inconscient, les apprécier, et prendre position à leur endroit » (Jung, 1973[1961], p. 300). Selon Beck , Rector, Stolar et Grant (2009), le fait que les caractéristiques physiques des voix sont très similaires que les personnes aient une histoire psychiatrique ou non suggère que les HA reposent sur un continuum d’une expérience normale. Les caractéristiques principales qui les différencient est le fait que les HA psychotiques sont plus négatives, sont attribuées de façon plus catégorique à des sources extérieures et leur contenu est interprété au pied de la lettre même s’il y a évidence du contraire (p. 106).

 

Alors qu’il exprimait sur papier des doutes quant au caractère scientifique de son travail, Jung entendit une voix féminine qu’il reconnut comme étant une de ses patientes psychopathe très douée qui éprouvait un fort transfert à son égard, lui dire « c’est de l’art ». À ce moment son interprétation a été que cette voix était devenue un personnage vivant à l’intérieur de lui-même. S’en est suivi un dialogue avec cette voix qui persistait à lui dire « c’est de l’art », interprétation qu’il refusait d’accepter. Mais Jung interpréta que « la femme en [lui] ne disposait pas d’un centre de la parole » (p. 297) et fit un « marché » avec elle en lui proposant de se servir de son langage pour dialoguer avec lui (son conscient). La voix « accepta cette offre et exposa aussitôt son point de vue en un long discours » (p. 298). L’interprétation qui suivit ce « dialogue » l’a conduit à sa théorisation de l’anima (« figuration féminine d’une personnification typique ou archétypique dans l’inconscient de l’homme ») et de l’animus (« figure correspondante dans l’inconscient de la femme ») [Jung, 1973, p. 298]. D’un point de vue jungien, la façon la plus facile de différencier entre le conscient et les contenus inconscients est d’isoler ces contenus en les personnifiant « puis d’établir, en partant de la conscience, un contact avec ces personnages. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut leur soustraire leur puissance, qu’autrement ils exercent sur le conscient » (p. 299).

 

Comme dans la théorisation de Chadwick et ses collaborateurs (2003) relative à la malveillance et à la bienveillance des voix, Jung voit un côté positif et un côté négatif dans l’anima et l’animus. Le côté négatif soulève à son égard « appréhension, timidité déférente comme à l’adresse d’une présence invisible » (p. 298), mais le côté positif « transmet au conscient les images de l’inconscient, et c’est cela [le plus important] » selon Jung (1973, p. 300). Le mode de relation qu’il engage avec sa voix sous forme de lettres, amène des « réponses assez extraordinaires [lui donnant] l’impression d’être tel un patient en analyse auprès d’un esprit féminin! » (p. 298). Il fait ressortir comment « suivre les conseils » des voix peut faire dévier d’une responsabilité morale de vivre dans le réel. Il écrit : « Si j’avais suivi la voix de l’anima, j’aurais probablement fini par me dire un beau jour : “Est-ce que tu t’imagines vraiment que les élucubrations auxquelles tu t’abandonnes sont réellement de l’art? Il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela.” » (Jung, 1973, p. 300). Il avait compris que son imagination fertile « nécessitait un terrain solide, et [qu’il devait] tout d’abord revenir entièrement dans la réalité humaine. Cette réalité, pour [lui], était la compréhension scientifique » (p. 302). Au moment où Aniéla Jaffé recueillait ces propos de Jung, il n’avait plus recours à ces conversations avec l’anima, car il ne ressentait plus les émotions qui les avaient rendues nécessaires. À ce moment, les « idées [lui étaient] immédiatement conscientes, car [il avait] appris à accepter et à comprendre les contenus de l’inconscient » (p. 301).

 

Le genre de phrase de dévalorisation qu’a extériorisée Jung dans ses mémoires nous l’avons entendue de diverses manières et souventes fois par les participants à notre recherche (St-Onge, Ngo Knouth, à paraitre), c’est-à-dire qu’ils ont l’impression que ce que les voix leur disent est faux, qu’ils n’y croient pas, ou encore qu’il faut s’y soumettre. Mais cette attitude de défiance ou de déférence alimente la boucle de la subordination et de l’évitement comme l’ont démontré Trower, Birchwood et Meaden (2010) dans leur théorie du rang social (TRS)4. Ce qui les rend encore plus vulnérables et sans contrôle devant cette expérience « d’aliénation de la conscience de soi » (Stephens & Graham, 2003).

 

Une approche multimodale pour intervenir auprès de ces personnes : dans un lieu unique ou dans plusieurs lieux?

 

D’entrée de jeu, on ne peut qu’être d’accord avec le fait qu’une approche multimodale, comme la thérapie dialectique (TCD) de Marsha Linehan (2000), soit offerte dans un seul lieu (appuyée bien entendu par des collaborations partenariales). La TCD est d’ailleurs recommandée par Kingdon et Turkington dans le cas où une personne présente de façon concomitante à la psychose un trouble de personnalité limite, car cette approche est reconnue comme étant très efficace auprès de ces personnes. Mais ce type d’approche est couteux, et dans les cliniques spécialisées où cette multimodalité est offerte, du moins au Québec, une longue liste d’attente représente un frein à l’accessibilité à ce type d’intervention. Donc il serait préférable de miser sur une pluralité d’approches dans plusieurs lieux différents.

 

Parfois il s’agit de changer des attitudes ne requérant aucun effort financier. Par exemple ce changement peut se refléter par une attitude d’humilité des thérapeutes devant ces personnes. Une façon d’y parvenir est de reconnaitre leur savoir expérientiel et de partir du modèle explicatif auquel elles adhèrent qui font sens pour elles tel que le suggèrent Kingdon et Turkington. Une fois la relation de confiance établie, une remise en question des croyances contribuant à la détresse de la personne peut débuter.

 

La TRS de Trower et ses collègues (2010) dicte par ailleurs aux thérapeutes de faire attention à ce que ces personnes n’adoptent pas devant eux une position subordonnée qui pourrait les conduire à des comportements d’évitement. En effet, les liens entre la croyance en la toute-puissance des voix, les comportements d’évitement, et la symptomatologie anxio-dépressive ont été démontrés par ces auteurs. Ainsi, comme dans la situation où une personne a recours à des rituels compulsifs pour neutraliser des pensées obsessionnelles (Ladouceur, Rhéaume & Freeston, 1999), le recours à des comportements d’évitement ou de « sécurité » est associé de manière fonctionnelle à l’anxiété, les deux conduisant à des croyances de menace à l’intégrité de la personne.  Alors ces stratégies d’évitement, non seulement n’aident pas la personne, mais contribuent à maintenir et à exacerber le problème en empêchant l’infirmation du pouvoir des voix [ou des thérapeutes] et des croyances d’autodépréciation reliées à ces voix omnipotentes et malveillantes (Trower et al, 2010, p. 89).

 

Comme le suggèrent Kingdon et Turkington (2005), un travail sur le trauma est essentiel. Dans ce contexte, la thérapie narrative et la verbalisation des émotions liées aux voix entendues est prometteuse. Comme le souligne le psychologue belge Pierre Philippot (2011, p. 219) : « La verbalisation des émotions permet de construire un narratif, d’écrire [les] histoires de manière structurée et chronologique. Ceci est particulièrement important dans le cas d’émotions traumatiques. En effet, celles-ci sont stockées en mémoire sous forme très fragmentée, comprenant principalement l’enregistrement d’impressions sensorielles brutes : images, sons, odeurs, etc. ». Mais comme le mentionne Allen (2001), exprimer ses émotions par rapport au trauma n’est pas suffisant pour « guérir ». Les personnes traumatisées, comme le suggère d’ailleurs Ron Coleman5, doivent changer l’expérience de ce trauma lorsqu’il revient à la conscience. Selon Foa (1997, dans Allen, 2001), trois composantes sont essentielles pour une thérapie efficace : 1) un engagement émotionnel avec les souvenirs traumatiques; 2) une organisation cohérente de la narration du trauma et 3) une modification des croyances centrales sur soi et le monde, c’est-à-dire réviser ses croyances à l’effet que le monde est extrêmement dangereux et que le soi est extrêmement incompétent. Il est impératif que les personnes ayant vécu un trauma puissent raconter leur histoire à une personne digne de confiance qui saura accepter leur « histoire » (Allen, 2001) même si a priori cette histoire peut paraitre invraisemblable.

 

À l’instar de Coleman et Smith (1997, 2007), Allen (2001) suggère la narration écrite du trauma (ou des voix qui représentent un événement déclencheur dans le modèle cognitif pour comprendre la détresse) comme méthode thérapeutique, car les histoires contribuent à structurer le sens de l’expérience, les histoires « toxiques » sont réécrites dans un contexte où le lien entre la personne narratrice et la personne qui écoute cette narration est inséparable, c’est-à-dire que pour Allen (2001, p. 343) « le contenu de l’histoire est moins crucial que la capacité de créer, raffiner, et narrer l’histoire dans une relation d’attachement sécure et stable ». Bref de passer de victime à vainqueur! L’important n’étant pas que le contenu de l’histoire soit « vrai », mais que cette narration ait le pouvoir de transformer l’expérience pour que la personne prenne la voie de la résilience. Cyrulnik pose avec acuité la question de « cet étrange besoin de [faire] le récit intime d’une épreuve douloureuse » (2012, p. 15). Pour lui l’expression parlée ou écrite peut conduire à la rumination si la personne ayant vécu un trauma répète sans cesse les mêmes mots ou voient les mêmes images. Pour que la résilience soit possible, il faut « [une] parole remaniée qui s’adresse à l’ami invisible, au lecteur parfait qui saura nous comprendre et nous réintégrer dans l’humanité dont nous avons été chassés par le traumatisme » (2012, p. 15, l’italique est de moi).

 

Une autre intervention qui s’est révélée efficace auprès des personnes psychotiques qui entendent des voix est l’intervention de groupe qu’elle soit d’ordre cognitivo-comportemental ou de soutien. Une des pionnières de ce type d’intervention est la psychologue chercheure Til Wykes de l’Institut de psychiatrie de Londres. Au départ ce type d’intervention a été offert aux personnes réfractaires à la médication neuroleptique (ceci reflète-t-il une crainte de la critique de la part des psychiatres?). Des recherches de son équipe qui ont comparé l’intervention de groupe cognitivo-comportementale avec un groupe de soutien ont montré une plus grande efficacité des groupes de soutien pour la diminution des croyances négatives reliées aux voix (Wykes, Hayward, Thomas et al, 2005). Une méta-analyse a par ailleurs démontré l’efficacité de cette modalité d’intervention (Ruddle, Mason &Wykes, 2011).

 

Comme mentionné plus haut, on a assisté dans la foulée du développement du mouvement international des entendeurs de voix, à un développement parallèle de groupes d’entraide qui contribuent à la diminution des voix négatives et à une meilleure estime de soi chez les personnes. Des bénéfices thérapeutiques sont d’ailleurs ressortis de nos études (Ngo Nkouth, St-Onge & Lepage, 2009, St-Onge, Lepage, Nko Knouth, & Breault-Ruel, 2013)6. Donc la participation à ce type de groupe doit être encouragée.

 

Mais le recours à une seule modalité, même si elle se révèle prometteuse, ne peut à notre avis contribuer à elle seule à ce que les personnes puissent totalement accueillir cette expérience au sein de leur vie et l’utiliser comme une force pour s’en distancier et ainsi vivre une vie pleine et entière.

 

Il est important également d’agir de façon préventive, car plusieurs recherches ont montré que les voix apparaissent plusieurs années avant l’établissement d’un diagnostic. Chez les jeunes enfants par exemple, Escher (2012) a fait ressortir que la majorité croit que le fait d’entendre des voix est normal ou que c’est un don de pouvoir communiquer avec des personnes décédées de leur entourage. Cette auteure qui a suivi, sur une période de 3 ans, 80 jeunes enfants ou adolescents entendant des voix a fait ressortir l’importance d’une intervention précoce auprès de ces jeunes, surtout d’une validation de leur expérience pour éviter la détérioration de leur état de santé physique et mentale. Les facteurs les plus importants au cœur de leur rétablissement sont le fait d’accepter les voix comme étant réelles et d’explorer les problèmes à la racine de l’expérience, tout en normalisant cette expérience (Escher, 2012, p. 112). Par exemple, le fait qu’un enfant entende des voix en contexte scolaire indique qu’il y a un problème dans ce milieu qu’on doit évaluer : cet enfant expérimente-t-il de l’intimidation? Quelles sont les émotions ressenties par rapport à l’école? De la peur intense, de l’anxiété? Les voix provoquent-elles la même peur? Parmi les jeunes que leur équipe a suivis dans le cadre de cette recherche clinique, 60% n’entendaient plus de voix à la fin de l’étude. Il faut mentionner que la moitié de leur échantillon ne recevait aucun suivi de services en santé mentale (Escher, Romme, Buiks et al, 2002) et que la cessation des voix n’est pas liée à une aide professionnelle (Escher, 2012). Leur équipe a découvert que dans la plupart des cas, les voix étaient reliées à des circonstances ou des situations rendant les jeunes vulnérables, sans pouvoir. Il faut mentionner que 86% des enfants ont rapporté un ou plusieurs traumas antérieurs au début des voix. Le fait de considérer le problème ou le trauma comme une cause potentielle à ces voix et de percevoir le lien entre cette cause possible et la réaction qu’ils ont eue devant ces voix est au cœur de leur capacité à composer avec cette expérience. De la sorte leur relation avec les voix change et leur développement n’est plus compromis (Escher, 2012).

 

 

 

 

 

Donc, en guise de conclusion, il est important de prendre en considération l’interinfluence entre le savoir scientifique et le savoir expérientiel pour aider les personnes qui entendent des voix à composer avec celles-ci, et ultimement accepter cette expérience. Il est aussi important de miser pour ce faire sur l’intégration de différentes approches et paradigmes. Plusieurs modalités d’intervention et d’approches qu’elles soient d’ordre cognitivo-comportemental, analytique, d’entraide ou de soutien sont essentielles, et surtout complémentaires, pour nous permettre de capter l’expérience d’entendre des voix dans sa globalité. Comme le soulignait à juste titre le psychiatre québécois Pierre Migneault dans un débat écrit au sujet des voix auquel nous a invités le Dr Jean-François Saucier de la revue Santé mentale au Québec (St-Onge & Provencher, 2006) : « [j’ai] besoin de toutes les clés et pistes de compréhension et d’intervention [pour] y voir un peu plus clair, autant chez le patient halluciné que chez moi-même! Voilà pourquoi les querelles, oppositions-exclusions d’écoles ou d’approches [me] désarment tant » (2006, p. 241).

 

 

 

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Trower, P., Birchwood, M., & Meaden, A. (2010). Appraisals: Voices’ power and purpose. In F. Laroi & A. Aleman (eds), Hallucinations. A guide to treatment and management (p. 81-101). Oxford, UK: Oxford University Press.

 

Waddingham, R. (2010). Voice Collective: You’re not alone. Dans S. Escher & M. Romme, Children hearing voices. What you need to know and what you can do. Children’s section (p. 3-14). Herefordshire, UK: PCCC Books.

 

Wykes, T., Hayward, P., Thomas, N., Green, N., Surguladze, S., Fannon, D., & Laudau, S. (2005). What are the effects of group cognitive behaviour therapy for voices? A randomised control trial. Schizophrenia Research, 77, 201-210.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 Plusieurs éléments de ce texte sont repris d’un livre à paraitre aux éditions SMQ/Téluq basé sur l’analyse du témoignage de personnes entendant des voix.

 

 

2 Les personnes intéressées par cette théorie peuvent entre autres consulter l’ouvrage de Marcel Kuijsten (2008), fondateur de la Julian Jaynes Society.

 

 

3 Ce type de HA représente un potentiel de risque plus élevé que les autres types quant à un passage à l’acte violent contre soi ou contre les autres. D’où l’importance qu’elles deviennent la cible d’une intervention spécialisée. Voir à ce sujet le manuel pratique de l’équipe de la Birmingham and Solihull Mental Health NHS FoundationTrust (Alan Meaden et al, 2013).

 

 

4 Cette théorie permet de comprendre les liens entre la toute-puissance des voix et la détresse que les personnes expérimentent. Elle indique la façon qu’ont les humains de répondre à la domination des autres conduisant à un sentiment d’être pris au piège et de se percevoir comme inférieures, subordonnées et dans une position de stigmatisation. Ainsi les voix puissantes (les relations hallucinées) et les personnes puissantes (les relations concrètes) ont un thème en commun : elles génèrent des signaux sociaux et des stimuli qui déclenchent une réponse de subordination involontaire et des conséquences d’ordre cognitif, émotionnel et comportemental dysfonctionnelles (Trower et al, 2010, p. 88).

 

 

5 Ron Coleman est un des pionniers du mouvement international des entendeurs de voix. Avec Karen Taylor il offre des formations sur le phénomène des voix et sur le rétablissement à travers le monde (voir leur site www.workingtorecovery.co.uk).

 

 

6 Vous pouvez consulter les rapports de recherche évaluative des premiers groupes de soutien conduits au Pavois de Québec (www.lepavois.org/services/mieux-vivre-avec-les-voix).